Débat : JV, arme idéologique ?
Précisonsavant de débuter ce résumé de débatqu’il
n’était pas ici question de débattre de la possibilité d’utiliser des jeux vidéo
comme d’un outil de propagande idéologique, puisque cette utilisation est déjà
réelle (ne serait-ce qu’avec l’exemple d’America’s Army dont le but est de
promouvoir les activités de l’armée américaine pour mieux recruter). Ici, nous
nous intéressions plutôt aux risques que cela comportait.
Au lieu de résumer
les différents points de vue, j’ai préféré vous présenter une sélection de
morceaux choisis classés par catégories. La partie finale se termine sur une
conclusion un peu plus personnelle.
Pour accéder au sujet tel qu’il avait été posé il y a deux
mois, cliquez
ici
La faute à qui?
C’est un peu le débat de l’oeuf et de la poule. Est ce que les
joueurs influencent les jeux, ou est ce que les jeux influencent les créateurs?
Au bout du compte, je pense que les joueurs sont capables de dissocier jeu et
réalité, et sont foutus d’avoir l’esprit critique. D’ailleurs, malgré 60 ans de
films hollywoodiens et 20 ans de jeux (dont beaucoup viennent des US),
l’anti-américanisme ne s’est jamais aussi bien porté en France, donc c’est peut
être la meilleure preuve que l’influence de ces medias (jeux, films) est
surévaluée… Du moins, faut l’espérer
Azorglub
Je pense pour ma part qu’un joueur cherche tout d’abord un réel
plaisir a Jouer. Après si le jeu est porteur de messages comme le
pro-américanisme ou le pro-consumérisme, je pense que le joueur passe outre ce
message qu’il reçoit comme il veut. Comme avec un film on peut l’apprécier sans
pour autant être d’accord avec sa morale (c’est plus dur avec un film). J’espère
que les joueurs sont assez évolués pour interpréter correctement ou juger le
message d’un jeu.
Etioun
L’avantage pour les joueurs, dans le cas du jeu de l’armée US
(si l’on peut toujours appeler ça un «jeu») peut être un réalisme plus poussé
(balistique, missions, environnement) mais qui sera feutré inévitablement par
les objectifs du soft. La propagande n’a pas vraiment pour habitude de montrer
sa faiblesse, ici ce serait montrer le joueur mourir en plein milieu d’un rue,
voir son cadavre brûlé puis traîné dans la ville, ses proches en pleurs à
l’annonce de la nouvelle…Bon ok je caricature mais seulement pour que ce soit
plus clair.
Judreamer
Sommes nous perméables aux valeurs véhiculées ?
L’exemple de Wolfenstein 3D me parait très intéressant du
point de vue idéologique, et à tous les sens du terme. Il y a quelques années,
nous étions assez fiers avec nos 386 de pouvoir «casser du nazi», une espèce de
combat de canapé (de chaise en bois en l’occurrence) qui convenait parfaitement
a nos idées un peu baba, et qui nous donnait à la fois bonne conscience et un
soupçon de «réalité historique». Mes parents ayant fait la guerre, j’avais eu
aussi des occasions d’en discuter avec eux, et de voir la barbarie qui avait eu
lieu à l’époque.
L’autre jour, je tombe Dieu seul sait où sur un débat de
jeu vidéo où les gens se plaignaient que dans le jeu en question, les croix
gammées avaient été remplacées. Quel scandale à leurs yeux, hélas pour moi pas
aux miens. Je pense que lorsqu’on n’a pas la possibilité d’avoir la culture
«historique» qui va avec (et c’est le cas de la majorité des jeunes joueurs
aujourd’hui), il ne me semblait pas indispensable de venir rajouter des symboles
(très forts) d’une boucherie sans nom.
Attention, je ne dis pas que la
jeunesse est inculte, loin de moi cette idée !!! C’est juste que la masse
d’information dans laquelle on nous noie, faite de vérités et contre-vérités,
est difficilement digérable sans mode d’emploi ou sans «bouteille» (un des seuls
avantages d’être vieux).
Be-io
Je pense qu’à la base il faut faire une distinction primordiale
entre : « influence » et « passage à l’acte ». Pour le passage à l’acte, aucune
étude n’a encore scientifiquement démontré que les JV amenaient un individu à «
passer à l’acte ». Même si le rapport d’un joueur au jeu semble beaucoup plus
fort et beaucoup plus impliquant que celui d’un spectateur à une série TV ou à
un film, il n’y a encore aucune preuve. Par contre, pour moi, il est évident que
les JV nous influencent, comme l’ensemble de notre environnement. Moi aussi, les
jeux comme SC ou Conflict Desert Storm m’influencent. Ils m’influencent en
renforçant ma vision du monde. (…) Le vrai problème est que ce type de jeux ne
fera pas changer d’avis une personne qui en a déjà un. Mais il peut en être
autrement chez des personnes qui découvrent un sujet à travers un jeu et qui
n’ont pas encore construit une vision du monde particulière. Travaillant avec
des enfants et des préados, je peux vous dire qu’il est très dur de lutter avec
des mots, avec l’intelligence, contre les conceptions nées de la télé ou de la
famille. Et que parfois on n’y arrive pas.
Le fond du problème c’est ce
qu’évoquait be_io : le manque de choix. Manque de choix dans les jeux d’abord.
Personnellement, ça ne me gêne pas qu’il y ait des jeux pro-violence (au sens où
c’est par la violence ou le conflit que le jeu se résout) et que politiquement
les jeux soient parfois pro-US. Le problème est que les jeux sont quasiment
toujours pro-violence et quasiment toujours pro-US. Il y a un manque flagrant de
diversité. D’où un certain « bourage de crâne » puisque ce sont toujours les
mêmes valeurs qui sont répétées.
Le manque de choix se retrouve aussi à
l’intérieur d’un jeu. A-t-on le choix de tuer ou de laisser vivre ? Peut-on
changer de camp au cours du jeu et rejoindre les rebelles ? Peut-on résoudre un
problème sans arme ?
Guevara
Il y a beaucoup de joueurs (euses) qui sont perméables à ces
scénarios et à ces conflits irréels voulant s’imprégner le plus possible de la
réalité. Ce qui aura pour effet « la banalisation de la guerre » pour ces
personnes.
Darklight
La presse a-t-elle un rôle à jouer ?
Les maisons d’édition répondent à une demande du marché. Il n’y
a qu’à voir le succès des jeux de guerre de qualité moyenne face à des jeux tel
que Beyond Good And Evil, par exemple
Pour combattre cela, la seule solution,
c’est l’information.
FCH
Oui, mais globalement les médias ne poussent pas de gueulante
sur ce phénomène… Au pire, ils mettent une mauvaise note (ou appréciation) sur
la partie scénario du jeu, mais cela s’arrête là. (….) La cible de ce genre de «
propagande vidéo ludique » est les adolescents, ne connaissant pas grand chose
sur les problèmes géopolitiques et ayant souvent pour conclusion (hâtive) « les
Américains sont les gentils ! ! ! ! » Ce qui renforce leur opinion avec ces
jeux.
Tu imagines notre génération dans 15 ans …
Darklight
Il est important je pense de faire prendre conscience au joueur
(si ce n’est pas déjà fait) que ce qu’il voit n’est pas une vérité absolue, et
la presse peut bien sûr avoir son rôle à jouer.
Judreamer
Faut-il voir une normalité dans cette propagande idéologique
?
1/Ces jeux ne sont que des jeux «d’actualités».
2/Il est
toujours plus «agréable» de shooter des terroristes ou des irakiens que des
belges…
3/Quoique l’on dise, le «fond» de ces jeux représente tout de même
nos valeurs : démocratie et liberté. Je préfère jouer le rôle d’un Sam Fisher
américain plutôt que celui d’un Ben Laden
Duc de France
Dire qu’on se sent plus Sam Fisher que responsable des armées
irakiennes….c’est quand même affligeant…je veux dire, on est même plus
indépendants de notre façon de penser, on se sent plus comme lui que comme lui.
Moi je me sens comme je suis, donc pas du tout Sam Fisher et pas du tout
irakien. Il ne faut pas tolérer ce genre de jeux qui t’impose une façon de
penser. Elle ne justifie même pas ses qualités. Le jeu dit : l’Amérique est
super, c’est tout…
il pourrait quand même nous prêter à réfléchir sur les
valeurs américaines…nous expliquer pourquoi l’Amérique est super, pourquoi
elle est libératrice etc…
4NOstriles-fr
Le cas Splinter Cell
Je ne pense pas que la propagande soit encore vraiment présente
dans le jeu vidéo du moins, à un tel point qu’elle pourrait devenir inquiétante
de conséquences. Prenons l’exemple de Splinter cell. Certes le jeu est ultra
patriotique etnous amène à tuer des méchants non loin des clichés que
prône notre société. Mais bon, il n’est pas non plus question de parler de
propagande. Et comme l’a dit Duc, en tant qu’occidentaux, nous nous sentons tout
de même plus proches d’un Sam Fisher que d’un responsable des armées irakiennes.
C’est tout logiquement que nous incarnons avant tout des personnages
américanisés entre autres. Maintenant, il me semble avoir entendu parler d’un
jeu pro irakien distribué sur le net (enfin je ne suis pas sûr), comme quoi la
propagande peut se faire dans les deux sens si elle a lieu. Mais comme je l’ai
dit plus haut, je ne pense pas que l’on puisse vraiment parler de propagande
dans nos jeux car contrairement à ce jeu qui a été distribué sur le net, les
«nôtres» n’ont pas pour premier but de servir d’objet de propagande (NDLR :
c’est faux, America’s Army le revendique même). Et étant donné que le jeu vidéo
est un loisir d’occidentaux avant tout, c’est tout logiquement qu’il ne valorise
pas les actions des opposants aux sociétés occidentales.
Xzephon
Pour avoir lu pratiquement l’intégralité de l’oeuvre de Clancy,
je peux dire que le bonhomme trouve son inspiration de faits historiques.
Il
prend un événement passé, tel que la guerre froide, le terrorisme en Irlande, la
lutte contre la drogue en Colombie, les tensions entre Taiwan et la Chine, le
crack boursier au Japon, et à partir de là, il «brode».
Là où le bonhomme
est très fort, c’est qu’à l’aide de l’analyse qu’il fait du monde actuel, en
partant de ces événements passés, sa broderie aboutit à une projection de notre
futur très crédible et vraisemblable. Pour preuve, certains événements décris
dans ses livres sont arrivés (avion qui s’écrase sur le capitole/avions qui
s’écrase sur le WTC, attaque terroriste biologique/alerte à l’anthrax/sarin aux
USA et au Japon, et la liste est longue…).
Appliquez cela à un jeu vidéo,
et on obtient un jeu avec un background plus que crédible, qui permet au joueur
de s’identifier totalement aux événements du scénario, car il se base sur des
faits réels.
Et c’est là que c’est dangereux. La frontière entre le virtuel
et le réel devient très ténue. Et si par hasard le joueur est un peu «limité»,
il peut basculer du mauvais côté.
FCH
Concernant SC, je me permets également de rappeler qu’il joue à
mon sens un jeu dangereux : il s’inspire d’une certains réalité. Je crois que je
n’ai pas besoin de rappeler à certains le fait qu’ils trouvaient que mine de
rien, Tom Clancy avait eu du flair avec le premier SC au regard de ce qui se
passait en Géorgie (alors que bon, à part 3 noms à consonance géorgienne aux
infos, ils n’avaient rien entendu sur la vraie situation). Et très sincèrement,
je ne pense pas qu’on soit vraiment compétents pour analyser des articles
diplomatiques, donc SC reste au final une de nos seules «sources» sur une région
que 90% ne connaissait pas, même de nom. Y’a pas un risque là
?
Shann
Pour compléter ce débat, je vous recommande TRES
chaudement la lecture de deux parutions du Monde Diplomatique (qui ne fait pas
que dans le diplomatique, je précise). L’une concerne le sujet en lui-même, avec
un article de septembre 2003 intitulé Le
jeu vidéo comme arme de propagande. L’autre est un article
de Novembre 2003 sur Le steak caché des fast-foods, et
s’avère particulièrement intéressant car il aborde l’éducation passive que des
années decommunicationpeuventprovoquer sur notre vision des
choses.
Encore merci à tous les participants, dont l’intégralité des
interventions est disponible sur le topic
du forum. A bientôt pour un nouveau débat !