Dossier

12.11.2006 à 17h56 par |Source : Rédaction

Peter Moore – Itinéraire d’un X-Man

L'industrie vidéoludique, ce n'est pas qu'une affaire de gros sous et de jeux, c'est aussi une histoire de personnalités, d'hommes et de femmes couillus (si l'on peut dire), dans le vent, qui dynamisent l'actualité et cristallisent les passions. Leurs parcours sont parfois surprenants. Prenez Peter Moore par exemple, aujourd'hui grand manitou du jeu vidéo chez Microsoft. Avant qu'il ne devienne l'universellement célèbre "Monsieur tatouage Halo 2", on peut dire que son ascension a été pour le moins singulière, l'amenant à arpenter des terrains de foot avant de rallier la célèbre marque sportive Reebok, tremplin qui constituera contre toute attente un atout au moment de plonger dans le grand bain du ludo-numérisme avec l'emblématique Sega. Car oui : la Dreamcast aux States, c'était Moore. Et l'adversaire, c'était déjà Ken Kutaragi et Sony. Un peu moins d'un an après la sortie de la Xbox 360, retour sur la trajectoire d'un des hommes forts du business du jeu vidéo.

Joue-la comme Beckham

Diable ! D’où lui vient cet accent ? Une chose est sûre : Peter Moore n’a pas appris à parler comme ça aux Etats-Unis. Et effectivement, ce n’est pas au delà de l’Atlantique mais de l’autre côté de la Manche qu’il faut chercher, là où les Beatles sont nés, à Liverpool. Nous sommes en 1955. Rejeton d’un couple de gérants de bar, Peter ne se prédestine sans doute pas à devenir un influent vice-président de multinationale. Tranquillement, après un début de scolarité sans heurts, il part étudier à Keele (Université comprenant des facultés d’arts et de sciences) dont il ressort diplômé. Il réalise ensuite le rêve de 99,9% des bacheliers masculins : devenir prof de sport. "J’adorais vraiment ça," explique-t-il, "mais après une excursion dans les montagnes au Nord du Pays de Galles, où j’ai passé mon temps à me geler ce que vous savez, je me suis dit qu’il devait y avoir une vie meilleure autre part." D’autant que dans les années 1970, la crise de l’industrie britannique commence à pointer le bout de son nez. Moore décide donc de partir s’aérer aux Etats-Unis, pour voir. Son avantage, c’est qu’il touche plutôt bien sa bille au foot, comme tout supporter des Reds qui se respecte. Il s’investit donc dans le soccer (le terme américain pour désigner notre football), d’abord par le biais d’un programme d’entraînement, puis en tant que coach-joueur dans l’équipe des Cleveland Cobras (ça ne s’invente pas). Nous sommes alors vers la fin des 70′s et notre bonhomme semble plus que jamais déterminé à poursuivre sa route dans le sport. Pour ce faire, il s’envole à destination de la Californie et obtient un master d’éducation physique à l’Université de Long Beach. De là, il continue d’enseigner, vivant entre Royaume-Uni et Etats-Unis, mais pas pour longtemps puisqu’une entreprise française va le lancer dans le business de la godasse et, par la même occasion, changer sa vie.


C’est en effet en 1981 que Patrick, marque de chaussures fondée dans l’Hexagone, recrute Moore, qui, séduit, quitte définitivement l’Angleterre avec sa femme et se lance dans le porte-à-porte*. Une activité pas très lucrative (10.000 dollars par an), un choix un peu fou mais qui, contre toute attente, fonctionne : la compagnie s’implante plutôt bien, triple son chiffre d’affaires en Californie (la région où bosse Moore) et Peter, vendeur infatigable, est promu Président de la division US de la marque après quelques années grâce à ses bons résultats. Un succès qui ne passe pas inaperçu aux yeux d’un des leaders du marché du sport aux Etats-Unis : Reebok. Au début des 90′s, le groupe cherche à se tailler la part du lion dans l’industrie en pleine expansion du football et le profil de Peter correspond parfaitement : un ancien footeux, britannique de surcroît ("Rbk" a été fondé en Angleterre), ayant fait ses preuves dans la vente d’articles sportifs. Reebok jette par conséquent son dévolu sur lui et l’embauche en 1992. Encore une fois, fort de bons bilans, l’anglais gravit rapidement les échelons et accède dès 95 au poste de vice-président du marketing. Les quelques années passées à ce poste lui attirent la reconnaissance du milieu mais ne sont pas de tout repos, puisque Reebok, ayant déjà fort à faire pour contrer le colossal Nike, est embarqué dans un scandale retentissant quand le monde occidental découvre que les ballons avec lesquels il joue sont fabriqués par des enfants exploités dans les pays du tiers monde. Devant de graves accusations et une forte pression du public, la marque américaine est une des premières à mettre sur le marché des ballons garantis sans travail d’enfant. Une politique de rachat à laquelle Moore prend part. Durant les années suivantes, et malgré quelques bons coups supervisés par le britannique, comme des contrats signés avec les sœurs Williams – qui allaient marquer par la suite l’histoire du tennis féminin – et le basketteur Allen Iverson – star trash de la NBA – Reebok entame une chute terrible qui voit la compagnie perdre énormément de parts de marché aux Etats-Unis, étouffée par les tentaculaires Nike et Adidas. Rbk ne parvient pas à diversifier suffisamment son offre et les pertes s’accumulent rapidement. Devant cette bérézina, les équipes sont renouvelées. Poussé vers la sortie ? Parti de lui-même ? Toujours est-il que c’est pendant cette période que Peter Moore quitte son poste de vice-président. L’industrie du sport ne le verra plus revenir, car après un court passage chez Electronic Arts, qui de l’aveu même de l’intéressé l’aura assez peu enthousiasmé, l’anglais fait connaissance avec un certain Bernie Stolar, patron de la division américaine de Sega et chargé de préparer l’arrivée de la Dreamcast chez l’oncle Sam (il sera viré peu avant celle-ci).

"Pourquoi vous m’amenez un vendeur de chaussures ?"

Devant les états de service de Moore chez Reebok, Stolar n’hésite pas et l’embauche en janvier 1999. Shoichiro Irimajiri, le président de Sega à l’époque, est passablement surpris de ce choix. "On fait des jeux vidéo. Pourquoi vous m’amenez un gars qui vend des chaussures ?" s’exclame-t-il, après avoir été informé de l’arrivée de l’anglais. Cependant les doutes vont rapidement s’estomper car Peter met en place une stratégie agressive pour promouvoir la future console du constructeur japonais, notamment en mettant la très populaire chaîne MTV à contribution. Le résultat ne se fait pas attendre : le 9 septembre 1999, le jour de sa sortie, la Dreamcast s’arrache aux Etats-Unis. Il s’en vend 1,8 million durant les quatre premiers mois de commercialisation, un record. L’Amérique du Nord devient rapidement la place forte de la machine qui marche moins bien en Europe et au Japon. Les affaires fonctionnent et Peter Moore devient la véritable figure de Sega aux Etats-Unis. Résultat, rebelote : il se voit, comme d’habitude, offrir rapidement une promotion. En avril 2000, il devient officiellement ce qu’il était déjà officieusement : le président de Sega of America, en lieu et place de Toshiro Kezuka. Le passage de la chaussure au jeu vidéo se déroule donc sans accroc, et selon Moore, ce n’est pas forcément étonnant. "Le lien entre les deux marchés a toujours été pour moi le consommateur – l’individu mâle de 14 à 28 ans amateur de nouvelles technologies, même si ça dépasse bien entendu ce cadre là. De plus j’ai une assez bonne perception de la pop culture. Mes goûts musicaux, mes films préférés… Je suis un type de 45 ans avec le cerveau d’un gars de 28 ans. J’aime la pop culture ce qui me permet de rester jeune et m’aide à comprendre ce que les jeunes veulent."


Tout semble bien se goupiller pour le natif de Liverpool, mais c’est sans compter sur l’arrivée du Némésis de la Dreamcast : la PlayStation 2. Forte d’une licence déjà mondialement connue, d’une promo enjôleuse savamment orchestrée et, pour la première fois, d’un lecteur DVD intégré, la console de Sony connaît un énorme succès, réduisant comme peau de chagrin les parts de marché de Sega. Finies les grandes ambitions online de la Dreamcast, il faut faire face à des pertes deux fois plus importantes que prévu. Le Président Irimajiri démissionne, poussé par le principal actionnaire de la compagnie, Isao Ohkawa, désireux de prendre les commandes et trouvant dans le début d’échec de la console une occasion rêvée. Une fois en place, il débloque 500 millions de dollars pour consolider l’assise de la Dreamcast aux Etats-Unis. Mais le combat est trop difficile à supporter pour Sega, véritablement asphyxié financièrement, qui ne peut plus soutenir correctement sa machine. La production de la 128 bits est définitivement arrêtée en mars 2001. L’épisode est mal vécu par Moore, obligé de virer plusieurs dizaines de personnes dont certaines qu’il avait spécialement fait venir de chez Reebok. "Une partie de moi souffre toujours de cette expérience," admet-il, amer. A partir de ce moment, c’est à l’édition de jeux que se consacre entièrement Sega. Peter joue un rôle important dans la réorganisation des forces du groupe nippon, laquelle était, selon lui, nécessaire. "Je pense que la Dreamcast était trop en avance sur son temps. […] Cela couplé au passif de la compagnie, pas nécessairement aux Etats-Unis, mais d’un point de vue global (ndla : il fait référence à la Saturn, qui avait vidé les caisses de Sega), c’est devenu très dur de continuer dans le business du hardware financièrement parlant. […] L’Europe et le Japon ne nous ont pas apporté le public dont nous avions tant besoin. […] Nous sommes déçus de ne pas pouvoir continuer avec la Dreamcast, mais je pense que la bonne décision pour la compagnie a été prise."


Peter Moore continue donc de promouvoir les jeux Sega, en dépit d’une transition rendue encore plus compliquée par un contexte économique peu favorable. Des choix difficiles sont faits, notamment l’annulation de Shenmue 2 sur Dreamcast aux Etats-Unis, au profit d’une sortie sur Xbox. Devant les protestations des fans de la série, Moore rédige une lettre d’excuse publiée sur le site de Sega qui réaffirme la volonté de l’éditeur de surmonter ses difficultés tout en gardant son identité. La branche américaine produit encore quelques bons jeux sous la conduite de l’anglais, notamment Jet Set Radio Future pour Xbox. La console de Microsoft, lancée fin 2001, intéresse d’ailleurs beaucoup Moore en raison de ses ambitions online, voie ouverte par Sega of America sur Dreamcast justement. "J’avais beaucoup de respect pour le travail qu’ils accomplissaient dans le domaine du développement sur Xbox, explique-t-il. Le Xbox Live prenait le chemin de ce que j’avais toujours espéré pour le service en ligne de la Dreamcast." L’intérêt se révèle être réciproque, car la firme de Bill Gates, nouvelle venue sur le marché des consoles, cherche à redynamiser sa stratégie marketing face à l’ogre Sony qui ne laisse que peu de parts de marché à ses concurrents. Le groupe a besoin de quelqu’un d’expérimenté qui connaisse bien l’industrie vidéoludique. Moore, du fait des collaborations entre Sega et Microsoft, se rapproche sensiblement du géant de l’informatique et attire l’attention de Steve Ballmer, son président. Celui-ci lui propose d’intégrer les rangs de l’équipe Xbox. C’est une offre alléchante, car en plus d’une augmentation qu’on imagine notable, l’occasion est donnée au compétiteur qu’est Moore de pouvoir à nouveau croiser le fer avec Sony, cette fois sans risque de banqueroute. Le britannique ne résiste pas longtemps :il quitte Sega en janvier 2003 et devient vice-président marketing et édition de la Xbox.

"Cette fois, c’est personnel"

Dès son arrivée à Seattle, Moore impose un lifting à la branche jeux vidéo de Microsoft. Les locaux du service sont éloignés du campus de Redmond et décorés au graffiti. Carrément. Le nouveau VP impose sa gouaille et son ton original afin de donner une identité propre au staff Xbox. Il s’intègre bien parmi les autres personnalités déjà présentes, comme Robbie Bach, J Allard ou encore Ed Fries. Cette fine équipe (dont Fries se désolidarise début 2004) s’occupe de mettre quelques titres marquants sur orbite, comme Fable et Halo 2. C’est justement grâce à ce dernier que Peter forge sa propre "identité Xbox". Lors de sa première conférence Microsoft à l’E3, en 2004, il dévoile sur son bras droit un tatouage annonçant la date de sortie du jeu. Ridicule pour les uns, cool pour les autres, cette initiative a le mérite de faire parler et c’est exactement ce que recherche Moore. L’authenticité du tatoo reste d’ailleurs encore aujourd’hui sujet de débats passionnés (ah oui ?) entre fans. Mais les annonces de 2004 cachent à peine LE gros projet de Microsoft : Xenon, ou en d’autres termes la future Xbox 360. Débutée dès 2003, sa préparation est, sans doute, la principale raison de la venue de Moore à Redmond, car l’identité de la machine sera bien plus prononcée que celle de son aînée. Très "in", la nouvelle console portera l’empreinte du britannique et sera soutenue par le plus gros budget marketing de Microsoft depuis le lancement de Windows. Après le coup d’essai Xbox, le groupe veut à présent entamer une véritable conquête du marché, en rouleau-compresseur américain qu’il est. Légèrement pris de vitesse par des fuites révélant prématurément le design de la console au printemps 2005, Moore choisit, comme pour la Dreamcast, la chaîne MTV pour la présenter officiellement. Une soirée spéciale présentée par Elijah "Frodon" Wood, sans grand intérêt pour les non-initiés au show à l’américaine mais qui, et c’est très important, possède la "cool touch" idéale pour la promo de la three-sixty. S’ensuit un E3 qui ne reste pas forcément dans les mémoires, Microsoft choisissant de ne montrer que du vrai au détriment de l’impact médiatique, déjà moindre à cause des diverses fuites du début de l’année. Les choix de Moore peuvent alors être critiqués, néanmoins ça ne l’empêche pas d’afficher un imperturbable optimisme et de croire plus que jamais en son produit. Les cercles verts sur fond blanc, l’idée de communauté, les pubs conceptuelles, le fameux slogan "Jump In"…Il veut faire naître un réel "360 spirit". "Le gros problème chez Microsoft, c’est qu’ils vous disent toujours pourquoi vous avez besoin d’une chose. Pour la 360, vous devez ressentir que vous la voulez. L’idée est de vous faire comprendre que si vous ne vous impliquez pas dans l’expérience, vous loupez quelque chose."


La fin de l’année 2005 est indéniablement chargée. La stratégie des deux packs différemment équipés est révélée lors de la Games Convention de Leipzig. Ce choix, au départ pas mal critiqué, oblige Peter Moore à expliquer ses décisions en long et en large. Une tâche pas forcément facile puisqu’il paraît évident pour beaucoup de monde que l’offre Core System, moins bien équipée, n’est qu’un alibi pour prétendre offrir la nouvelle génération au prix imbattable de 300 dollars ou euros. "La version Premium se vendra en plus grandes quantités que la version Core, du moins dans un premier temps," estime le vice-président, dans une forme d’aveu implicite. Qu’importe, puisque l’effet d’annonce qui lui est cher est à nouveau au rendez-vous. Plus tard, la même année, le Tokyo Game Show est le théâtre des retrouvailles de Peter avec Kutaragi, l’ennemi des années Dreamcast. Les deux hommes se croisent, échangent une poignée de main et engagent le dialogue. Le patron PlayStation invite Moore à faire un détour par le stand Sony pour profiter des dernières vidéos PS3, ce à quoi l’anglais répond du tac au tac, avec un large sourire : "Merci Ken, mais passez plutôt par notre stand si vous voulez jouer à de vrais jeux." Eh oui, Peter n’a pas oublié l’échec de Sega, vécu depuis les premières loges. Lors d’un speech adressé aux équipes Xbox, il promet qu’il ne laissera pas la situation se reproduire, allant jusqu’à reprendre un passage du mémorable discours du rideau de fer prononcé en 1946 par Churchill. "Pour Peter, cette fois, c’est personnel," ironise J Allard, pas forcément très loin de la vérité. Soutenu par la réserve de billets verts made in Windows, Moore conclut alliances sur alliances, brise des exclusivités et convainc notamment Hironobu Sakaguchi, le créateur de Final Fantasy maintenant à son compte, de développer des titres uniquement sur 360, malgré le peu de succès de sa grande sœur au Japon.


Le 22 novembre 2005, c’est le grand jour : la Xbox deuxième du nom est officiellement mise en vente aux Etats-Unis. Des stocks insuffisants pénalisent son arrivée sur le marché, mais le succès est tout de même au rendez-vous. C’est ensuite au tour de l’Europe et du Japon d’être servis, en quelques semaines seulement, "premier lancement mondial de l’histoire" oblige. Il n’y a pas assez de consoles pour tout le monde et certains accusent un peu vite Microsoft d’avoir planifié une pénurie. Moore réagit avec un amusement certain : "C’est ridicule. J’ai lu tout et n’importe quoi sur cette théorie. Quelque part, à Roswell, au Nouveau Mexique, nous avons un hangar secret où nous entreposons les consoles, créant ainsi une fausse pénurie. Non, sincèrement, nous produisons autant de 360 que nous pouvons." Très peu de temps après, fidèle à sa réputation, il monte en grade à la faveur d’une refonte de services et devient l’ultime patron du jeu chez Microsoft, tant sur Xbox (Robbie Bach lui passe la main) que sur PC. Durant les premiers mois de commercialisation, la 360 alterne le bon et le moins bon et on finit par attendre l’E3 cuvée 2006 pour avoir quelques infos à se mettre sous la dent. Une nouvelle fois, Moore choisit l’événement pour se donner en spectacle. Il partage la vedette avec un invité de luxe, Bill Gates, lors de la conférence Microsoft. Il convient de frapper fort, c’est pourquoi Moore donne encore une fois de sa personne et révèle un second tatouage annonçant l’arrivée de GTA IV sur 360 (ce qui met un terme aux exclusivités provisoires de Sony). A cette occasion, l’anglais devient sans doute le panneau publicitaire permanent le plus riche du monde, car il affirme que "c’est pas du chiqué", accompagnant la nouvelle par une pique de plus orientée vers le concurrent japonais et ses démos techniques, mettant en scène des canards de bain. "Some guys do rubberducks, some guys do tatoos," pérore-t-il, soutenu par un public passablement chauvin et conquis. Et en effet, on n’arrête plus le cow-boy de Liverpool qui s’épanche sur les défauts de la stratégie Next-Gen de Sony, non sans un certain plaisir. Le vieux renard a plus que jamais compris qu’il fallait être proche des joueurs, des gens qui aiment le style mais pas l’entourloupe. Nintendo fait un tabac à l’E3 avec sa Wii ? Tant mieux, il l’aime aussi et présente la console adverse comme un parfait complément de la 360. Le prix de la PS3 est critiqué ? Moore le trouve également trop élevé et prend les gamers à témoin : le Blu-Ray imposé, c’est mal ! Sorte de compromis entre l’abrupte Kutaragi et l’innocent Miyamoto, il tente de combiner intelligence marketing et popularité auprès des consommateurs avec un certain succès, puisque malgré ses choix discutés, la réputation de Microsoft dans le monde des consoles reste loin d’être aussi écornée que dans l’univers de l’informatique.

Method Moore

Impavide face au défi particulièrement relevé de la nouvelle génération, Peter Moore applique face à Sony une méthode adoptée bien plus tôt dans sa carrière, durant ses années Reebok, puis réutilisée pendant sa période Sega. "Quand on se bat contre Nike (ndlr : l’adversaire de Reebok à l’époque), le but essentiel est de faire en sorte qu’ils se réfèrent à vous dans tout ce qu’ils disent. Avec Sega, nous avons atteint cet objectif. Tout ce que dit Jeff Brown (ndlr : vice-président d’Electronic Arts à l’époque) fait référence à Sega. Nous sommes entrés dans leurs têtes." Ce serait donc ça, la méthode Moore, en plus de jouer au copain du gamer : s’insinuer dans le quotidien de l’adversaire. Et étonnamment, ça marche : en juin 2006, Howard Stringer, patron de Sony, confond lors d’une interview le film X-Men 3 et la Xbox. Un lapsus qui, s’il n’est pas forcément révélateur, correspond étrangement au leitmotiv du gourou de Liverpool.


A plus de 50 ans, Peter Moore ne cache pas qu’une de ses recettes pour rester "chébran", ce sont ses enfants. Son fils de 20 ans est un "sujet d’étude" depuis son plus jeune âge. Papa Moore écoute, observe et enregistre de précieuses informations sur les habitudes de son échantillon maison. Même processus avec sa fille de 14 printemps, à laquelle il fait tester le pad de la 360. Transportant toujours sur lui un iPod avec les dernières chansons à la mode, le britannique, plus âgé que Bill Gates et Steve Ballmer, se proclame joueur invétéré et estime avoir appris à comprendre, au fil des années, le fonctionnement complexe de l’industrie du jeu vidéo. Pourtant, cela ne l’empêche pas de faire une bourde de temps en temps, comme avec l’affaire de la rétrocompatibilité sur Xbox 360, laquelle fut estimée pratiquement inutile le temps d’une interview. Ce fut plutôt mal pris et des excuses suivirent, mais la preuve était faite que l’enthousiasme de Moore pouvait parfois le faire dire un peu n’importe quoi. Et puis il y a ce style de discours, appuyant mécaniquement sur le positif et occultant parfois complètement la question posée. Agaçant, bien sûr, d’autant qu’il n’y a pas de doute sur l’intelligence du bonhomme. Tantôt franc, tantôt tournant autour du pot, le britannique se joue plutôt bien des médias et endosse volontiers le rôle d’orateur lors des événements Xbox, non sans un certain talent (n’en déplaise à Bill "somnifère" Gates).


Le dernier coup en date de Microsoft, et donc de Moore, c’est de sortir Gears of War, le jeu le plus attendu de 2006, juste avant la PS3 de Sony aux Etats-Unis, pour qu’on ne parle pas que de Blu-Ray et de Cell en novembre. Attirer l’attention, entrer dans les têtes, bref, la routine. L’année 2007 passera la stratégie de Peter au révélateur. Une revanche sera-t-elle effectivement prise sur Sony ? Quelques parts de marché en plus devraient suffire à son bonheur, soit plusieurs millions de billets verts. Oui, décidément, même si l’accent est resté, l’époque du pub de Liverpool est bien loin.


*Attention de ne pas confondre notre Peter Moore avec son parfait homonyme, lui aussi dans la chaussure : designer chez Nike dans les années 80, il a créé la célèbre Air Jordan.

Note : Microsoft a annoncé que Peter Moore quittait son poste le 17 juillet 2007.

Sources :

CNN Money

FastCompany

IGN

Microsoft

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