Dossier

25.04.2007 à 16h55 par |Source : Rédaction

Les métiers du jeu vidéo : entretien avec Frédéric Devanlay

Il fait un temps superbe en ce jeudi 19 avril et, tandis que les passants s’affairent alentours, quelques bribes de joyeux échanges s’échappent d’un petit café de Montreuil, en région parisienne. Dans quelques minutes, et après un petit déjeuner bien mérité, nous partirons à la rencontre de Frédéric Devanlay – le fondateur du studio Big Wheels – stratégiquement situé à deux pas de l’éditeur Ubisoft. Spécialisé dans le sound design, les bruitages et la localisation, notre hôte a accepté d’ouvrir les portes de son antre où se dessinent les ambiances sonores de nombreux hits et, comme vous êtes chaque jour plus nombreux à nous questionner sur les métiers du jeu vidéo, nous avons décidé d’ouvrir nos pages à ces talents cachés qui oeuvrent en coulisses.

Un bon plan se partageant entre amis, nous avons proposé à la charmante Sophie (Live Gen), à Anh (le Journal du Geek et le Journal du Gamer), à Franck (Xbox-Attitude et Giiks.com) de se joindre à l’équipe de Xbox-Mag, constituée pour l’occasion de Benjamin, de Jonathan et de Stephanie. En préparant le reportage, la première chose qui nous vint à l’esprit est la frustration que ressent un rédacteur car, aussi passionnante soit notre activité, nous serons toujours amenés à juger le produit une fois finalisé. Pourtant, le processus de création s’avère long et complexe et, avant que ne soit annoncée la version Gold, nombreuses auront été les mains à toucher le précieux sésame. D’où l’idée de lancer cette année une vaste introspection du monde du jeu vidéo, en donnant la parole à ceux qui nous font rêver mais dont les médias parlent peu et en essayant de connaître davantage leurs professions respectives. Premier sur la liste, Frédéric Devanlay alias « Fred », à qui nous avons demandé de nous parler de son métier, de ses envies et évidemment de son parcours.

C’est au fond d’une cours que nous découvrons les locaux de Big Wheels, à savoir trois pièces aménagées et insonorisées, où monitoring, écrans d’ordinateur, micros et boutons par centaines nous propulsent immédiatement dans un autre univers. Nous sommes au pays des « faiseurs de sons », un endroit hors du temps où notre « oreille » sera mise à contribution puisque, d’une part nous apprendrons que ce que nous entendons n’est pas vraiment ce que nous croyons entendre et de l’autre que l’ambiance canapés feutrés et silence ambiant n’est voulue que pour mieux nous tromper. En effet, , attendez que Frédéric vous montre les trailers crées pour l’E3 dernier sur écran mural géant, avec enceintes professionnelles, et vous aurez tout bonnement l’impression de décoller !

Après dix sept ans d’existence, l’activité du studio est impressionnante puisqu’il a, entre autres,à son compteur les ambiances sonores de Spinter Cell : Pandora Tomorow et Double Agent, Ghost Recon 2, Ghost Recon Advanced Warfighter 1 et 2, Brothers in Arms, Red Steel, Driver, Dark Messiah, Heroes of Might and Magic V, Silent Hunter, Rayman et les lapins crétins, Far Cry, Conflict Zone, Atlantis 2, Red Steel, Pod 2 et nous en passons. En sus, la société Big Wheels est à l’origine de nombreux trailers, cinématiques et mini-jeux sur multiples supports.D’un point de vue plus technique, c’est ici que l’on fait le sound design et les bruitages d’un titre, la post-prod, le mixage en 5.1, l’enregistrement des comédiens, la localisation et parfois même des musiques ou du casting de « voix ».

En fait, le responsable du « son » se situe entre le chef d’orchestre qui vient aligner et superposer les bruits de façon harmonieuse, tout en intensifiant les moments « clés » de certains passages, et le chef de cuisine puisque chaque son est le fruit d’une « recette maison ». A ce sujet, tous les sons que vous entendez dans les jeux sont issus de superpositions de couches elles-mêmes constituées de différents bruits. Un café à la main, c’est non sans humour que Frédéric va nous expliquer que pour créer toutes les idées sont permises. Attention, âmes sensibles s’abstenir car, croyez nous, vous ne jouerez plus jamais aux jeux vidéo de la même façon après ces bien curieuses révélations !

ENTRETIEN AVEC FREDERIC DEVANLAY – STUDIO BIG WHEELS

1-Bonjour Frédéric, les studios de Big Wheels étant spécialisés dans les effets sonores, le sound design et la localisation dans les jeux vidéo, comment êtes vous entré dans le métier et d’où vous est venue l’idée de créer une telle structure ?

Frédéric Devanlay : Je suis musicien de formation (claviers) et j’ai débuté au sein d’un groupe, comme ce n’est pas évident d’en vivre, j’ai commencé vers 1985 à produire des « jingles » avec un copain pour des spots publicitaires, des documentaires et des films institutionnels. En 1988, un type a débarqué en me disant qu’ils cherchaient des musiciens et des bruiteurs pour la série des Adibou, c’est ainsi que j’ai débuté dans l’industrie du jeu vidéo. Ce travail m’a permis de financer du matériel et de monter Big Wheels en 1990, après les autres ont suivi, comme Ubisoft, avec qui je collabore régulièrement. Je suis aujourd’hui gérant de société et le jeu vidéo représente 80% de notre activité, le reste étant consacré à la publicité ou à la collaboration avec certains artistes (dont Martin Solveig et Claude Monnet). Nous sommes trois actuellement puisqu’il y a deux ingénieurs du son, mais je suis pratiquement le seul à bosser sur la partie jeu vidéo. Par contre, pour la localisation, nous nous associons avec des personnes extérieures puisque nous ne gérons ni le choix des acteurs, ni la traduction des scripts, nous nous occupons en fait de l’enregistrement des « voix ».

2-Le fait d’être musicien a-t-il été un avantage étant donné que vous n’avez pas de formation spécifique ?

Frédéric Devanlay : En effet, cela m’aide au niveau du sound design puisque j’essaie de raconter une histoire en intégrant un rythme adapté, mêlant moments forts ou plus mélancoliques. Par contre, ce n’est pas nécessaire pour la production du son en elle-même, il ne faut même pas avoir une « oreille » particulière, juste une bonne dose d’imagination.

3-Pourtant vous utilisez un matériel de pointe (table de mixage, séquenceurs, logiciels divers, bibliothèques de sons…) qui ne s’appréhende pas aisément, alors quels conseils donneriez vous à un lecteur qui souhaite se lancer dans cette profession ?

Frédéric Devanlay : Il existe des formations mais elles ne s’avèrent pas obligatoires, je suis un autodidacte et j’ai appris sur le tas en traînant des les studios d’enregistrement. Je dirai qu’il faut aimer mettre ses doigts partout, être curieux et faire preuve d’un sens créatif. Pour ma part, je travaille beaucoup avec le logiciel Nuendo 3 et l’équipement autour est celui d’un studio d’enregistrement traditionnel.

4-Comme le jeu vidéo représente la plus grosse partie de votre activité, pouvez vous nous dire si vous êtes vous-même un joueur ?

Frédéric Devanlay : Oui, j’ai toujours été attiré par les jeux vidéo bien que j’ai débuté par les jeux de plateaux pour être plus précis. J’ai enchaîné sur Amiga, étant au départ plutôt un joueur PC, puis j’ai découvert l’univers des consoles. Je n’ai pas beaucoup de temps pour jouer aujourd’hui à cause du travail mais je possède une Xbox 360 – mon premier challenge ayant été d’abandonner mes habitudes souris /clavier pour m’accommoder aux fonctionnalités de la manette. Maintenant, j’ai du mal à retourner sur PC, support auquel je reproche la nécessité de changer de « bécane » régulièrement pour avoir accès au meilleur son, aux meilleurs graphismes, sans oublier les capacités de stockage de la mémoire.

5-Travaillez vous sur multiples supports et, le cas échéant, y a-t-il des différences techniques entre les plateformes ?

Frédéric Devanlay : Je produis sur tous supports vu que beaucoup de titres sont multi-plateformes mais j’ai travaillé sur quelques exclusivités. Il n’existe pas de différences majeures dans la façon de procéder, juste quelques ajouts pour l’un ou l’autre support. Par exemple, ils travaillent sur le portage de Dark Messiah sur Xbox 360, jeu sur lequel j’ai déjà bossé, et les créateurs me demandent quelques trucs supplémentaires du fait que les versions diffèrent un peu. Contrairement aux programmeurs, je n’ai pas de contraintes particulières, du moins pour les bruitages pour lesquels je fournis des fichiers audio. Les pistes audio pour les musiques varient un peu, par contre, puisque les formats pourront être du 8 ou du 16 bits, du 44.1 ou du 22.

6-Composez vous également des musiques pour les jeux ?

Frédéric Devanlay : Au départ, c’était le cas mais cela se complique aujourd’hui à causes des déclarations à la Sacem [ndlr : nous apprenons d’ailleurs que les créateurs de « sons » devraient obtenir l’autorisation de les déclarer à la SACEM afin de s’en garantir les droits de diffusion et d’exploitation]. En plus, les droits appartiennent le plus souvent à l’éditeur.

7-Vous avez l’habitude de collaborer avec de grands noms, dont Tom Salta sur le dernier Ghost Recon Advanced Warfighter, alors comment se passe techniquement le partenariat entre le spécialiste des effets sonores et le compositeur, à savoir deux artistes finalement chacun dans leurs domaines respectifs ?

Frédéric Devanlay : Pour tout ce qui concerne le travail « ingame », donc véritablement le gameplay, nous n’avons pas d’échanges précis et je dirai que le résultat est un peu « au petit bonheur la chance », cependant nous connaissons tous deux l’esprit du jeu et nous savons qu’il y aura une succession d’explosions, d’échanges de tirs…En revanche, nous collaborons pour les cinématiques et les trailers, nous nous échangeons des mails et je lui envois mes premières maquettes, vu que je travaille vite, afin qu’il se base dessus. Après, nous n’aurons pas forcément les mêmes points « clés », il peut décider d’intensifier un moment et moi un autre en fonction de nos ressentis respectifs.

8-Dans la même optique, préférez vous procéder aux bruitages en ayant déjà entendu la musique ?

Frédéric Devanlay : Cela m’aide effectivement pour les trailers et les cinématiques, comme ça je vois quels moments il a décidé d’appuyer avec ses musiciens et, ne désirant pas en rajouter une couche, je vais me focaliser sur un autre endroit. Pour la création du trailer de l’E3 2006 (pour GRAW 2), nous avons constamment échangé nos maquettes afin que l’autre se base dessus. Idéalement, il faudrait pouvoir partager le même studio mais nous ne sommes pas sur le même continent.

9-Y a-t-il un style de jeu sur lequel vous préférez évoluer ou, du moins, un genre qui vous tenterait particulièrement ?

Frédéric Devanlay : Je n’ai pas de préférence particulière mais je suis plus spécialisé sur les jeux de type guerre / infiltration. J’ai aussi eu l’opportunité de travailler sur des jeux de courses de voitures, pour le jeune public et sur de l’heroic fantasy avec le dernier Heroes of Might and Magic. C’est le style que j’aimerai approfondir car le challenge est moins élevé dans les catégories courses de voitures et sports, où le catalogue de sons à produire est peu fourni. Une fois que l’on a enregistré les bruits de moteur au démarrage, à l’accélération, en ralentissement, le fond sonore de la foule ou encore quelques ambiances de stade et les mouvements des joueurs, il n’y a plus grand-chose à faire. Grosso modo, la moyenne est à 70 sons sur ce type de jeux.

10-Justement quelles est la moyenne d’un fichier de sons pour un gros titre ?

Frédéric Devanlay : Pour un blockbuster, c’est à partir de 2000 sons. Les plus importants atteignent entre 2500 et 2800 sons différents, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont tous intégrés, certains passent à la trappe au montage final.

11-Est-ce une frustration dans ce cas là ?

Frédéric Devanlay : Plutôt une habitude en fait. Ce qui m’atteint le plus, c’est lorsque le mixage final n’est pas à la hauteur alors que l’on s’est donnés du mal. Il arrive que ce soit mal mixé ou mal intégré comme ce fut le cas pour Taxi 3, sur lequel je devais reproduire le son du moteur de la 406 (n’ayant pas l’autorisation d’introduire son bruit initial). J’ai réalisé un mix à partir de sons de Harley Davidson, de Dragster et de Ford Mustang, le résultat était plutôt réussi et tout le monde s’en disait satisfait, pourtant une fois intégré dans le jeu la déception fut grande car le moteur utilisé ne rendait pas l’effet requis. En conséquence, l’intégration reste importante car elle repose sur le moteur du titre et sur le travail des programmeurs. On peut avoir un son qui déchire au départ mais qui ne rend absolument pas à l’arrivée. Les capacités des programmeurs sont intimement liées aux effets que nous souhaitons rendre.

12-Est il plus difficile de travailler sur un titre classé « Mature » ou sur un jeu qui s’adresse davantage à un jeune public étant donné que vous venez de faire Rayman et les Lapins Crétins sur DS ?

Frédéric Devanlay : Pour Rayman M (le 3), j’ai réalisé une vingtaine de petites vidéos pour les bonus et je viens de finaliser la version sur DS de Rayman et les lapins crétins. Comme dans le cinéma, c’est plus dur de faire rire que de faire pleurer donc le travail n’a pas été simple du fait qu’il s’agit presque d’un « cartoon ». J’ai aussi travaillé sur la série des Adibou, mais là, en l’occurrence, c’était différent puisque le projet était supervisé par une équipe de pédagogues, de pédiatres et de professeurs des écoles. Pour les premiers, on faisait une réunion par semaine mais le rythme devenait trop contraignant par rapport à mon travail, donc après je leur ai demandé de me téléphoner de temps à autre pour me faire un compte rendu. Ce type de jeu est plutôt difficile car on peut vite tomber dans les clichés.

13-Venons en maintenant à l’aspect technique de votre travail, par exemple, utilisez vous des éléments qui sont totalement éloignés du résultat final désiré ?

Frédéric Devanlay : Oui, tout à fait. Par exemple, dans GRAW 2 et Splinter Cell : Double Agent, j’ai utilisé les soufflements d’air produits par le TGV pour rendre l’effet des explosions. Il faut savoir qu’un son se construit par superpositions de couches d’autres bruits. En fait, on intègre pleins de trucs, puis les sons sont déformés, dépitchés, passés à l’envers…il faut pas mal d’imagination sans dénaturer le son pour autant, mais on peut détourner à loisir. Pour Atlantis II, je devais rendre un effet « d’eau qui suinte » et je ne trouvais pas, puis un jour dans mon jardin, j’urine contre un mur et là je me dis que c’est exactement ça. L’heroic fantasy, surtout, nécessite des bruits particuliers, on ne peut pas mettre juste le son du « vent » pour rendre l’impression de « vent » puisque sur certaines maps, il y a des cavernes, des bois…c’est vrai que c’est curieux lorsque l’on isole chaque couche pour voir ce qui a été utilisé, une arme, par exemple, peut réunir dix couches et pour l’effet de l’impact, on peut même rajouter un petit bruit de lacet qui claque. Dans le dernier Splinter Cell, j’ai eu des contraintes à respecter pour le personnage de Jaimie car le descriptif le concernant indiquait un personnage débraillé, qui n’attache pas ses lacets donc il a fallu créer des bruits indépendammentafin que, rien qu’à l’écoute de la démarche, on reconnaisse le pas du personnage. L’autre difficulté concerne Sam Fisher, notamment lorsqu’il est furtif car il faut entendre ses pas sans les entendre, du coup je suis parti sur l’idée de « froissements » mais il fallait que ce soit infime. D’ailleurs, l’une des scènes les plus difficiles à réaliser dans ma carrière a été celle de la prison dans Double Agent vu qu’il était nécessaire de mettre en place une ambiance survoltée, à laquelle se superpose la voix d’un acteur américain qui crie différentes insultes.

14-Vous arrive t’il de découvrir des sons par hasard ?

Frédéric Devanlay : Oui, totalement. Cela va du tuyau d’arrosage que je m’amuse à faire tourner en jouant avec ma chienne et je réalise que l’air à l’intérieur crée un effet intéressant en passant par le lave vaisselle. Le métier requiert d’être attentif et curieux. Il y a une partie prise de son classique avec l’utilisation d’un gros micro lorsque je sais ce que je recherche ou des sons que je découvre au grès de mes activités. Il m’arrive d’arpenter ma rue en marchant et en m’enregistrant donc les gens s’étonnent et doivent me prendre pour un original, toutefois mes voisins sont au courant. L’un d’eux contribue même car il n’arrête pas de ramener des bidules du Maroc, du coup je vais chez lui pour prendre des bruits de tôle, de pneus…par exemple. Dans le premier GRAW, on m’a demandé le bruit d’une grenade qui tombe sur du sol bétonné, je ne trouvais pas jusqu’à ce que je nettoie ma cheminée (une cheminée façon début du 19ème), j’ouvre la grille un peu trop fort et quelque chose tombe, c’était une chaîne avec un poids au bout pour faire contre poids justement. Le poids étant en fonte et vraiment lourd, j’ai compris que c’était exactement le son qu’il me fallait. J’ai aussi utilisé les lamelles en plastique accrochées aux portes des entrepôts dans les supermarchés, mais j’y vais « à l’arrache » sans prévenir, toutefois l’ambiance sonore environnante dérangeant la prise, j’ai fini avec une piscine en plastique dégonflée que j’ai secoué. Bref, il faut constamment s’adapter et trouver comment contourner un obstacle pour recréer le bruit souhaité avec autre chose. Collaborer avec des bruiteurs de cinéma s’avère très enrichissant pour apprendre car ils maîtrisent parfaitement le détournement d’objet.

15-Rendre des sons « réalistes » permet d’en avoir une idée assez précise, et nous supposons que vous faîtes de la prise de sons traditionnelle dans ce cas, mais comment procédez vous lorsque l’onvous demande de créer le cri d’une créature imaginaire par exemple ?

Frédéric Devanlay :J’utilise ce qui me vient à l’esprit, ce peut être un bruit de chameau superposé à un cri de chauve souris et rendu plus aigu, également le rugissement du lion ou la voix rauque de l’ours. Les sons sont ensuite transformés et, dans ce cas précis, dénaturés pour créer quelque chose de nouveau.

16-Les amateurs de RPG imagineront aisément qu’un troll ou un orc a communément une grosse voix, mais les créateurs vous fournissent t’ils un descriptif quant aux autres créatures ?

Frédéric Devanlay : Oui, ils me donnent quelques lignes de description m’expliquant s’il s’agit d’une créature plutôt reptilienne ou de type volatile par exemple. J’ai aussi accès à des planches les représentant, donc je me fie à ce que je vois [ndlr : nous apprenons ici que les voix des orcs ou des trolls sont tout bonnement des cris de gorets et que le bruit des pas de certains monstres dans Star Wars sont rendus grâce à des pastèques coupées en deux et tapées contre le sol]. Les équipes qui travaillent sur Star Wars sont parmi les meilleures, mais le bruit du fameux sabre laser a été découvert par hasard, le jour où quelqu’un a passé une antenne métallique devant un poste de télévision par inadvertance. On me fournit, en parallèle, des vidéos surtout quand il y a un timing à respecter, cela m’aide pour les « animatics », mais je n’ai pas besoin d’en savoir trop non plus. Par exemple, pour Heroes of Might and Magic, les créateurs m’ont donné ce que l’on appelle la « Bible », c’est-à-dire un descriptif de plus de 200 pages mais il a bien fallu leur dire que je n’ai pas le temps de tout lire non plus. Je peux travailler à partir d’un descriptif écrit ou à partir d’un storyboard imagé, d’ailleurs j’ai même bruité des storyboard « papier » avant qu’ils ne soient numérisés. La seule contrainte est que, parfois, nous manquons de temps puisque nous sommes parmi les derniers à intervenir sur le développement du jeu et c’est souvent à trois – quatre mois de la version Gold. Dernier cas, il m’arrive de refaire tout le son sur une production car l’éditeur n’aime pas ce qui a été fait par la précédente personne, là je peux prendre le parti d’écouter afin de ne pas retomber dans les mêmes erreurs ou de commencer à zéro en faisant l’impasse sur ce qui a été réalisé avant.

17-Est-ce que, de manière générale, les créateurs et éditeurs vous laissent carte blanche ?

Frédéric Devanlay : Oui, je suis relativement libre, maintenant je peux aussi me tromper en proposant quelque chose qui ne correspond pas aux attentes mais sur les sons que je fournis, j’ai très peu de retours me demandant de retravailler l’effet produit, j’ai très peu de retours tout court d’ailleurs puisque le client ne se manifeste que lorsque ça ne lui convient pas. Parfois, il peut y avoir des incompréhensions entre le studio et la requête, mais la plupart du temps on m’explique assez précisément ce que l’on veut. Après le résultat peut plaire ou ne pas plaire du premier coup, c’est une question de goût à ce niveau là.

18-Comme vous l’avez mentionné, vous arrivez en fin de « parcours », alors ne ressentez vous pas une petite frustration ?

Frédéric Devanlay : Oui et non en fait, cela peut l’être lorsque l’on ne nous laisse pas beaucoup de temps pour créer la bande sonore, mais en même temps c’est nous qui sommes le « papier cadeau » autour de la production. En fait, le jeu est sans vie avant l’arrivée des musiques et des bruitages. Pour Adibou, je fournissais les sons demandés chaque semaine et c’était un bonheur de voir le jeu s’animer au fur et à mesure. Même les développeurs sont heureux de voir et d’entendre les premières maquettes avec les sons car cela permet d’identifier tel personnage et surtout, comme je le disais, le jeu prend vie.

19-Comment se gère l’activité d’un studio au quotidien ?

Frédéric Devanlay : Il m’arrive de travailler sur trois ou quatre titres en simultané, mon record ayant été de cinq. Après tout dépend si c’est en flux tendu, à savoir la nécessité de finir tout le jeu en une seule fois, ou s’il y a des coupures. Si j’ai trois – quatre semaines de relâchement sur un titre parce que j’attends la suite, je passe sur un autre jeu. Les éditeurs me font confiance et savent quelles est mon organisation. Les délais de livraison sont aussi souvent en simultané, du coup il faut gérer parfaitement son emploi du temps. L’année dernière, j’ai bossé sur trois Tom Clancy et Dark Messiah, puis j’ai récupéré Heroes of Might and Magic sur la fin, ce qui faisait pas mal de titres avec un environnement très riche.

20-Quelle sont les productions dont vous êtes le plus fier aujourd’hui ?

Frédéric Devanlay : La série des Tom Clancy car l’univers est riche et permet pas mal de choses. J’ai également fait une série de mini-jeux pour Zslide où il fallait des petits sons de trois ou quatre secondes, mais c’était marrant étant donné que je pouvais totalement dénaturer et détourner. C’est une autre approche mais elle est aussi intéressante. Par contre, je n’ai pas de titres envers lesquels je suis envieux, je reconnais qu’il y a un très bon travail de fait sur les Call of Duty, par exemple, mais je ne peux pas citer un jeu en particulier auquel j’aurai aimé participer à tout prix. En parallèle, je suis heureux de collaborer avec Ubisoft, car il y a de moins en moins de blockbusters produits en France, et ceux qui restent sont faits chez cet éditeur. Au final, j’ai la chance de travailler sur les plus gros jeux produits dans l’hexagone !

21-Vous nous avez confié que vous lisez régulièrement les tests réalisés par la presse, or la partie réservée au son est souvent négligée. Y trouvez vous une forme d’injustice ?

Frédéric Devanlay : Déjà, j’aimerai que l’on cesse de mélanger les domaines : il m’est arrivé de lire un article où le rédacteur critique le gameplay, le scénario, les graphismes et donc attribue une mauvaise note au soft sans évoquer le reste. De notre côté, nous avons parfois bossé dur sur les effets sonores, du moins nous avons tenté de faire notre « partie » du mieux possible et, en parallèle, les responsables de casting ont essayé de retenir les meilleurs comédiens et ces derniers se sont donnés à fond. Toutefois, comme le gameplay n’a pas plus ou que l’histoire n’était pas prenante, on saccage tout et on met un 8/20, par exemple, sans souligner le travail fait dans les autres domaines. Au niveau du son, je n’ai pas de conseils à donner, si les rédacteurs en parlent en quatre lignes, c’est que c’est la place qu’ils estiment que cela mérite. Le ratio musique / bruitages par rapport au gameplay reste dérisoire, il y a un décalage énorme et je souhaiterais que l’on insiste davantage sur le fait que le son contribue à l’immersion. Après, je ne peux tout superviser et, comme je le disais ultérieurement, un bruitage réussi peut être malmené par le moteur du soft, mais un jeu reste une œuvre collective et cela fait partie du contrat.

22-En dehors de l’industrie du jeu vidéo, vous travaillez avec des musiciens mais que viennent ils faire ici exactement ?

Frédéric Devanlay : Martin Solveig est venu mixer son premier et son troisième album. En général, nous travaillons surtout sur des musiques électroniques, parfois du R’n’B ou du hip hop, j’ai aussi eu Monia de l’émission Pop Star ici et j’ai collaboré avec Claude Monnet sur Pensopositivo.

23-Quels sont les projets chez Big Wheels avant de conclure ?

Frédéric Devanlay : J’aspire à faire du cinéma maintenant donc il se peut que j’engage une nouvelle personne pour m’aider. Dans le cinéma, il y a plusieurs métiers liés au son comme le bruiteur, le sound designer ou le monteur, c’est un secteur où l’on différencie bien les postes. En revanche, comme je suis plutôt spécialisé sur l’action, je me vois plus travailler avec Luc Besson plutôt qu’avec Claude Chabrol, je ne cherche pas à aller particulièrement vers les grosses productions, mais c’est plus le « son » que nous faisons. En ce qui concerne les projets liés au jeu vidéo, en principe je devrai intervenir sur Haze pour au moins un trailer et les « voix » seront peut être faîtes ici. Je ne sais pas encore si j’aurai à nouveau à intervenir dans le jeu « ingame ». En fait, l’activité liée au jeu vidéo est plutôt calme en cette période de l’année et devrait s’accentuer courant mai afin de préparer les jeux prévus à la rentrée. Je suis également pas mal accaparé en juin, juillet et août, d’ailleurs je ne prends plus de vacances, et vers octobre sachant que la majorité des sorties se font de septembre à décembre, puis au printemps suivant. Néanmoins, l’industrie du jeu vidéo est mieux perçue aux Etats-Unis qu’ici, en France c’est presque un handicap d’avoir cette étiquette pour bosser dans le cinéma. D’ailleurs, là bas, beaucoup d’acteurs demandent à doubler des films d’animation ou des jeux vidéo car cela est bien vu, d’autant plus que le jeu vidéo et le cinéma sont considérés comme un art à part entière. Aux USA, ils ont pigé qu’il y a du pognon à prendre dans l’industrie du jeu vidéo et les éditeurs s’allient de plus en plus à des réalisateurs venus du cinéma pour créer un projet.

Tous les sites présents remercient chaleureusement Frédéric Devanlay pour son accueil (n’hésitez pas à visiter le site officiel du studio Big Wheels) ainsi que Anh Phan pour les photos ci-dessous.

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