Jeux vidéo = art ? Roger Ebert versus Kellee Santiago
La question divise même la profession elle-même, beaucoup de développeurs se considérant artistes, d’autres, et non des moindres (Hideo Kojima, Shigeru Miyamoto par exemple) refusant cette qualification.
Dans ce contexte, le billet écrit il y a quelques jours par le plus célèbre critique de cinéma du monde, Roger Ebert, a déclenché une immense réaction sur le web anglophone. Ebert avait déclaré il y a quelques années que les jeux vidéo ne pouvaient être un art, mais n’avait pas développé son argumentaire ou utilisé d’exemples. Il avait dès lors été noyé sous les messages des joueurs. Sur son blog, Ebert est donc revenu sur la question dans un billet nommé "Les jeux vidéo ne pourront jamais être un art", accompagné d’une photo assez caricaturale. La majeure partie de l’article consiste en un commentaire d’une conférence donnée par Kellee Santiago, une des figures du studio Thatgamecompany (Flower, flow, sur PS3), qui, elle, affirme que les jeux vidéo sont d’ores et déjà un art à part entière.
L’argument principal d’Ebert est le suivant : un jeu peut être gagné, a des règles, un but. Ebert estime qu’un jeu qui s’affranchirait de ces caractéristiques (et effectivement, certains jeux vidéo s’en sont affranchis aujourd’hui) ne serait plus vraiment un jeu au sens premier du terme.
Santiago, pendant sa conférence, avait notamment utilisé les exemples de Braid et Flower pour appuyer son propos. C’est sans doute là le point le plus polémique du billet d’Ebert : le journaliste propose une critique simpliste des deux jeux, et pour cause : il n’y a pas joué, et se base seulement sur quelques infos glanées ici et là. Il les juge "pathétiques" comparés à d’autres oeuvres, ce qui n’arrange bien sûr rien à l’affaire, le ton du blog étant dans l’ensemble catégorique, parfois presque dédaigneux.
Santiago et beaucoup d’autres personnes ont depuis répondu plus ou moins courtoisement à Ebert, lui reprochant son manque de connaissance du milieu du jeu vidéo. La célébrité d’Ebert et le besoin de reconnaissance du médium semblent avoir transformé le billet, sans grande substance ni prétention, en véritable événement, repris sur la majorité des sites et forums spécialisés.
Le débat est épineux, ne serait-ce que par la définition très floue et changeante du terme "art", souvent différente d’une personne à l’autre. Quiconque connaît bien le jeu vidéo sait que l’interaction peut produire de formidables expériences, mais qu’elle est encore loin d’avoir été totalement exploitée. Si la critique d’Ebert est douteuse, du fait de son manque de connaissance vis-à-vis des jeux cités plus haut, le sujet de fond est intéressant à aborder, et révèle souvent, chez ceux qui réagissent, des visions profondément différentes du jeu vidéo.
Le plus amusant est peut-être de noter que Roger Ebert, habituellement connu pour avoir un esprit ouvert (en matière de cinéma du moins), a fait la critique d’un jeu (Cosmology of Kyoto, sur PC et Mac)pour le magazine Wired et en parlait, à l’époque, en termes plutôt élogieux. C’était en 1994.
Conseils de lecture pour les plus courageux (et anglophiles) d’entre-vous :
- Le billet initial de Roger Ebert- La conférence de Kellee Santiago (point de départ du billet)- La réponse de Kellee Santiago à Roger Ebert- Le sujet de discussion dédié sur le forum NeoGaf (environ 1200 messages, attention)- La critique jeu vidéo de Roger Ebert chez Wired