Dossier > Kinect : Quels enjeux pour Microsoft ?
Une caméra pour décomplexer Microsoft
Comme beaucoup de produits mis sur le marché, celui qui fût longtemps appelé "Projet Natal" a bénéficié d’énormément d’attention de la part des services recherche et développement de Microsoft. Avec un prototype qui aura couté la bagatelle de 30.000 dollars et un peu plus 1.000 personnes impliquées dans le processus de conception, cette caméra que l’on appelle aujourd’hui Kinect est absolument tout sauf banale. C’est ce que le New York Times a pu constater en allant interroger Tim Nichols, un psychologue de 32 ans qui a passé quelques journées derrière une vitre sans teint pour analyser le comportement des gens lorsqu’on les mettait devant l’engin. D’ordinaire, le psychologue note les sourires et les cris de joie, mais dernièrement il a pu noter que le plaisir de ces "cobayes" est monté en flèche. "Je ne peux pas vous dire combien de fois j’ai vu des gens essayer de faire le moonwalk" s’exclame-t-il.
Car tout l’intérêt de la machine est là : être libre de faire ce que bon nous semble. Derrière sa forme rectangulaire et ses trois yeux, se cache un accessoire capable de répondre au moindre de vos mouvements, mais également à votre voix. Changer de jeu, couper le son ou lancer un film devient alors un véritable jeu d’enfant, et ce sont vos télécommandes qui ont du souci à se faire. Voilà pourquoi Kinect est certainement le projet le plus ambitieux de Microsoft qui cherche depuis des années à se séparer d’une image de marque entachée par une succession d’échecs que ce soit au niveau des téléphones mobiles (en attendant de voir ce que donneront les Windows Phone 7), des lecteurs musicaux ou même des tablettes tactiles. De plus, malgré le succès commercial de Windows, ce dernier continue d’avoir une image négative dans l’esprit des consommateurs, et rien jusqu’à maintenant n’a réussi à faire oublier les nombreuses critiques qui se sont abattues autour du monopole de la firme sur les systèmes d’exploitation. Dans ce contexte, Kinect arrive comme le rédempteur d’une société qui peine à être aimée du grand public.
Une technologie pour entrer dans l’histoire
Microsoft voit en Kinect le début d’une nouvelle ère. Pour le moment destiné exclusivement au divertissement et plus particulièrement à la console de salon Xbox 360, la firme pense pouvoir passer du salon au reste de la maison, au bureau et même au garage à l’aide de dispositifs qui seraient conçus par la société américaine ou par d’autres. D’ailleurs Joel Johnson, rédacteur pour le site Gizmodo, voudrait du Kinect dans chaque pièce de sa maison. "Cela semble tellement être de la science-fiction que ce serait extraordinaire" dit-il. Et si Microsoft cherche tant à se rapprocher de ce qui nous semble faire partie d’un futur encore trop éloigné, c’est bien parce que la concurrence en matière d’innovations s’active. Ainsi, Apple a réussi en quelques années à renaître de ses cendres grâce à quelques produits très portés sur le high-tech, et reléguant ainsi les créatifs de Microsoft au rang d’employés sans imagination. Une situation inacceptable pour la firme américaine créée par Bill Gates qui a longtemps bataillé face à la société à la pomme, notamment lorsque les Personal Computer d’IBM tentaient de s’imposer face aux Macintosh. Kinect est donc aussi l’occasion de prouver à son concurrent de toujours que le combat est loin d’être terminé, et qu’un retour dans la course à la technologie n’est pas à exclure.
Allen et Chris Walker, âgés respectivement de 49 ans et de 16 ans, se retrouvent dans la salle de recherche sous les yeux de notre psychologue Tim Nichols. Rien ne leur est expliqué sur le fonctionnement de Kinect, et avec une facilité déconcertante, les voilà qui naviguent dans les menus de Kinect Joy Ride, un jeu de voiture qui sera disponible au lancement du produit. Le jeu est lancé et aucun des deux n’éprouvent de difficulté à jouer alors qu’il s’agit pourtant de leur baptême du feu. Le père aura même eu le temps de prodiguer de précieux conseils à son fils sur la manière de bouger ses bras et son corps avant de profiter des photos du duo prisent par la caméra qu’ils pourront ensuite envoyer sur leur Facebook. Autant le dire, une telle technologie utilisable avec autant de facilité était encore inimaginable il y a trois ans et il a fallu que les ingénieurs travaillent d’arrache-pied pour qu’elle puisse fonctionner aussi bien dans un petit studio japonais, que dans le salon d’un château en Touraine. Pour les capteurs, c’est une société basée à Tel-Aviv qui s’en est chargés créant deux "yeux" capables de percevoir la profondeur et un troisième rendant possible l’utilisation de Kinect dans n’importe quelle condition d’éclairage.
Mais ce n’est pas tout, les employés du pôle recherche et développement de Microsoft n’hésitent pas à parler d’intelligence artificielle poussée concernant l’appareil. Il n’y a qu’à voir : la caméra vous reconnaitra même dans des vêtements amples, même avec un short, et même si vous tombez enceintes Mesdames. De même, les quatre capteurs audio permettront de différencier le son de votre téléviseur, les bavardages, etc… de la voix de la personne qui se sert de l’appareil afin d’éviter toute interférence. Dans un futur proche, les annonceurs pourront également profiter de la technologie Kinect. Si vous portez un maillot du Paris-Saint-Germain lors d’un clasico PSG-OM, vous pourrez recevoir alors des publicités qui vous seront directement destinées, comme par exemple une offre pour téléphone mobile qui vous permet de recevoir les alertes buts de votre équipe de coeur, et pas d’une autre.
Arrêt sur image d’une campagne marketing monstrueuse
Mais avant de s’attaquer au marché de masse, il va tout d’abord falloir gérer la case divertissement. Pour cela, l’objectif est simple : prendre l’exemple de la Wii et son surprenant succès et aller plus loin. Rien d’étonnant alors de voir que les premiers jeux qui utilisent les capacités de Kinect sont des party-game, des jeux de fitness, autrement dit des titres essentiellement orientés vers les joueurs casuals, cette catégorie qui n’a pas pour habitude de jouer régulièrement et qui n’est évidemment pas étrangère au succès de Nintendo. Même chose du côté de la promotion du produit. Avec des centaines de millions de dollars alloués au budget communication de Kinect, attendez-vous à être submergé par les nombreuses publicités qui devraient débouler en cette fin d’année sur vos écrans de télévision. D’ailleurs le rouleau compresseur s’est déjà mis en marche outre-Atlantique (où l’appareil est sorti une petite semaine avant la France) et quelques millions d’américains ont pu assister à la générosité de Microsoft qui a tout simplement offert une console et un Kinect à toutes les personnes présentent lors d’un Oprah Winfrey Show dédié à l’accessoire et ses bienfaits. Un joli coup de pub n’est-ce pas ?
Lorsqu’on vous dit que la firme de Redmond y met les moyens, c’est peu de le dire. Lorsqu’en 1999 Bill Gates révèle l’existence d’un projet visant à introduire une nouvelle console sur un marché très fermé, ce sont 500 millions de dollars qui sont mis sur la table pour parvenir à ses fins, dont une bonne partie destinée à convaincre les développeurs de jeux de créer des titres sur sa nouvelle machine. Aujourd’hui, c’est exactement la même somme qui est engagé par Microsoft pour asseoir Kinect dans les esprits, mais surtout dans les salons du monde entier. Une somme absolument colossale qui enterre les 200 millions de dollars de budget marketing de Nintendo au lancement de sa Wii. Un grand écart encore plus flagrant lorsque l’on se souvient de la position délicate dans laquelle se trouvait la firme japonaise en 2005, et la situation du marché actuel propice aux technologies articulées autour de ce que l’on nomme désormais le "motion control".