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Dans un Tokyo marqué dans sa chair par une grande tragédie qui a vu une partie significative de la ville ravagée sur fond de conflit, une équipe a pris pour spécialité l’enquête sur les « anomalies ». Inconnu du grand public, ce petit groupe cherche à comprendre les phénomènes qui ont – et qui continuent de – façonner le monde. Puis vient le jour où l’anomalie prend des proportions inédites et voilà que notre agent se retrouve propulsée plusieurs années antérieurement au conflit qui a ravagé la métropole. Ce phénomène étrange de voyage au travers de l’espace et du temps n’est pourtant que le premier d’une longue liste qui ballote notre agent dans deux univers : celui des humains et celui des Digimon, ces êtres aux traits animaliers, capables d’évoluer pour prendre de nouveaux pouvoirs et diverses apparences. Certains ont parfois quelque chose de très humain. Dans quelle mesure les événements se déroulant dans un monde influencent-ils le second ? Comment mettre un terme (heureux) à cette cavalcade dans les couloirs du temps ? C’est ce qui motive la grande aventure de notre agent et de nombreux personnages qui gravitent autour, humains comme Digimon.

On laisse le soin aux joueurs qui tenteront l’aventure d’en découvrir les tenants et aboutissants. Ce que l’on peut dire, c’est que tout cela se suit avec un certain intérêt. Le sujet du voyage dans le temps a cela de toujours prenant a priori ; il est ici assez bien exploité, traitant notamment des sujets liés aux grands cataclysmes, au combat fratricide, au deuil et à l’amitié. Tout cela donne une certaine dimension à Digimon Story Time Stranger, qui se voit cependant contrariée par une écriture tout de même un cran en dessous de ce que l’histoire méritait. Une nouvelle fois, un JRPG nous sert un sujet intéressant avec un traitement qui verse parfois dans la mièvrerie et explore les lieux communs du bien et du mal, de l’amour et de l’amitié.

Il faut néanmoins mettre au crédit des développeurs le gros effort porté sur les doublages (anglais ou japonais, textes en français). Bien que notre agent (homme ou femme au choix) soit malheureusement muet, les trois quarts des nombreux dialogues que compte le jeu sont doublés pour tous les autres personnages. Notre agent étant toujours accompagné de deux autres PNJ et régulièrement en contact par téléphone avec l’autre agent de liaison (le personnage que l’on n’a pas sélectionné en début de partie), on profite comme il faut de ces moments de discussion. Autre point positif, Digimon Story Time Stranger distille avec précision ses phases de dialogues et leurs durées, afin que l’histoire prenne de la consistance sans risquer de se montrer verbeuse.

Quand il ne déroule pas son intrigue, Digimon Story Time Stranger invite avant tout le joueur à passer de (très) nombreuses heures à combattre et à capturer puis à gérer l’évolution de ses Digimon. C’est un JRPG à la fois très classique dans ses mécaniques et complexe/intelligent dans l’intégration qu’il exécute de la dimension capture et dressage de monstres. On a apprécié retrouver avec Digimon Story Time Stranger un bon vieux système au tour par tour, dans la plus pure tradition du genre. On dirige une équipe de trois personnages (des Digimon) en tant qu’agent, avec un ensemble de fonctionnalités claires : attaquer, bloquer, utiliser un objet ou utiliser une compétence du Digimon. Au fil des tours, la jauge de PC se charge et permet une fois pleine d’exécuter une puissante compétence spéciale, tournée vers l’attaque ou la défense avec la possibilité d’en débloquer une dizaine à mesure que l’agent gagne de l’expérience. Le système de combat est très facilement compréhensible, basé sur le principe connu d’affinité élémentaire, de forces et de faiblesses de l’ennemi à découvrir à mesure qu’on lui rentre dans le lard.

C’est en revanche grâce aux Digimon eux-mêmes que le gameplay s’enrichit significativement. Il y en a environ 450 à capturer et pour cela les choses sont simples : il faut les combattre plusieurs fois pour atteindre 100% de taux d’analyse (on peut pousser jusqu’à 200% pour augmenter dès lors ses statistiques de base). À partir de là, le Digimon peut être intégré à l’équipe combattante, à celle de réserve (utilisable quand le membre titulaire est à terre) ou bien conservé en retrait pour plus tard. Il prendra quoi qu’il en soit des points d’expérience au fil des combats. Chaque Digimon a non seulement son identité visuelle, mais aussi une ou plusieurs capacité(s) propre(s), certaines affinités avec les éléments ; il peut être « affiné » grâce à des disques de compétences que l’on gagne régulièrement ou que l’on peut acheter dans les boutiques entre deux donjons. L’immense diversité des Digimon apporte un renouvellement constant aux combats et donc à l’expérience dans son ensemble.

Capturer les Digimon est une chose mais ce qui est encore plus intéressant, c’est de les faire évoluer. Tous les monstres de base disposent d’une ou de plusieurs évolutions, rendues possibles par la validation de deux ou trois conditions liées d’une part au niveau de notre agent, et d’autre part à celui du Digimon sélectionné (points de vie, défense, attaque, intelligence, etc.). Si les conditions sont remplies, il peut évoluer vers une nouvelle forme généralement plus robuste et diversifiée et ainsi repartir vers de nouveaux gains d’expérience et pourquoi pas évoluer encore par la suite. Les possibilités sont vraiment impressionnantes, on se prend très rapidement au jeu de la collecte de Digimon en vue de composer une équipe toujours plus puissante. Non pas que le jeu soit trop exigeant dans sa difficulté par défaut, mais il a ses pics – parfois bien relevés – qui nécessitent de disposer d’une équipe bien évoluée pour être surmontés.

La gestion des Digimon va d’ailleurs loin dans l’idée d’affinage et de précision, puisqu’entre aussi en ligne de compte le type de personnalité qui s’applique. Il y en a huit, répartis en quatre familles. Tandis que la personnalité offre une compétence spécifique au Digimon, la famille dont elle fait partie peut être renforcée via les points d’expérience de l’agent. Il est donc primordial de bien attribuer les points en question (augmentant l’attaque, la défense, la rapidité, etc.) dans l’arbre de la famille correspondant à la personnalité des Digimons utilisés au combat. Notons qu’il est possible d’influencer la personnalité dans la direction voulue : avec un effet léger en parlant aux Digimon durant l’exploration des donjons, et avec un effet plus significatif (mais requérant plus de temps), en laissant ses Digimon à la « ferme » pour des entrainements ciblés.

On accède à cette ferme via un portail qui apparait régulièrement durant l’exploration, en ville ou dans les donjons. Digimon Story Time Stranger dispose avec tout cela d’un fond riche, très prenant, chronophage à certains égards. Il aurait dès lors été intéressant que le jeu intègre des notes explicatives plus nombreuses et plus détaillées. En l’état il y a beaucoup de spécificités du jeu qui sont seulement effleurées dans les menus, alors que cela apporte énormément à l’expérience lorsque c’est bien maitrisé. Il faut donc aimer mettre les mains dans le cambouis pour apprécier pleinement Digimon Story Time Stranger.

Dans l’ensemble, l’aventure est agréable et rafraichissante, portée par des musiques qui certes ne resteront pas dans les mémoires mais qui accompagnent comme il se doit les diverses situations et les environnements. Entre Tokyo et le monde des Digimon et en ajoutant à cela les voyages dans le temps qui viennent modifier quelque peu certains lieux, on passe par des coins aux inspirations diverses (souterrains, monde aquatique, jungle, usine XXL). La réalisation graphique est colorée et soignée et le jeu se montre techniquement irréprochable. On apprécie particulièrement les animations des attaques, presque aussi nombreuses que les Digimon.

On regrette néanmoins deux choses avec Digimon Story Time Stranger. La première tient au level-design très cloisonné qui laisse peu de place (et d’envie) à l’exploration. Un comble pour un jeu où l’on est a priori motivé pour aller dénicher de nouvelles bestioles jusqu’au bout du monde. Le second point négatif se trouve du côté même des environnements, propres mais parfois très répétitifs visuellement (les égouts de la ville…) et aussi réutilisés à la chaîne à un certain moment de l’aventure. Oui, il y a cette dizaine d’heures maudites durant laquelle le jeu calle en nous renvoyant vers des lieux déjà connus et déjà, à ce stade, redondants. On peine dès lors à envisager l’idée d’y revenir encore pour une mission secondaire (il y en a toujours quelques-unes qui se débloquent après avoir complété un donjon), ou bien librement cette fois, pour tenter de capturer un Digimon qui manque à notre Codex. Pas de quoi entacher le plaisir de jeu globalement ressenti, mais un écart qui empêche Digimon Story Time Stranger d’être véritablement un JRPG exceptionnel. Cela dit, il est bon, et ce n’est déjà pas mal du tout.