Jeux

Harold Halibut

| Développé par Slow Bros.

8/10
One : 16 avril 2024 Series X/S : 16 avril 2024
15.04.2024 à 15h01 par

Test : Harold Halibut sur Xbox Series X|S

Science sans conscience n'est que ruine de l'âme

Né en 2012, de l'imagination d’une équipe allemande un peu folle, le titre de Slow Bros Games aura connu une gestation et une naissance plus longues qu'à l'accoutumée. C'est ainsi 12 ans après avoir commencé à germer dans l'esprit de ses créateurs que le jeu est présenté lors du Xbox Games Showcase 2023, pour une sortie en day one sur le Xbox Game Pass. Le projet prend le parti artistique de proposer une aventure narrative entièrement réalisée à la main et capturée en stop motion. Par ce choix, Harold Halibut ne peut laisser indifférent et nous emporte dans ses questionnements dans un lieu où le temps est resté en suspend.

Notre aventure débute par le réveil de notre personnage principal et héros éponyme, Harold Halibut, sur le Fedora I. Dans un monde dystopique où la Guerre Froide avait fini par enclencher le compte à rebours inéluctable de la fin de la Terre, ce vaisseau a permis, il y a 250 ans, à un certain nombre d’être humains de fuir leur planète d’origine. Une arche qui a eu à faire face à l’invasion d’aliens ou des pluies d’astéroïdes durant son long voyage, mais s’est également enrichie de minéraux et bactéries inconnues pour permettre la découverte de nouveaux moyens technologiques et énergétiques. Arrivé à destination après 200 ans de périple, les habitants du Fedora I se rendent finalement compte que l’atmosphère de leur planète refuge est toxique, les forçant à s’écraser au fin fond de l’océan et à finir totalement immergés. L’histoire d’Harold Halibut nous place 50 ans après ce crash, dans une période où la compagnie Toutes Eaux a la main mise sur le fonctionnement du vaisseau, notamment grâce à la conception d’un mode de transport étonnant, le Tubulaire, sorte de pneumatique pour humains et dont les tuyaux étroits s’entrecroisent selon un plan digne du métro londonien.

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Harold, est l’assistant de laboratoire du Professeur Jeanne Mareaux. Mais au-delà de cette fonction, il est un peu l’homme à tout faire du Fedora I, en témoignent sa ceinture à outils, son marteau et son tournevis. Un rôle qui nous permet de rencontrer progressivement la galerie de personnages concoctée par les créateurs. Tous aussi différents les uns que les autres, ils contribuent à faire du voyage initiatique d’Harold un véritable questionnement, parfois même philosophique. Les joutes verbales entre les scientifiques Mareaux et Cyrus, l’autre chercheur hors pair du vaisseau, nous rappellent que la démarche scientifique, au-delà de l’observation et de l’expérimentation, ne peut se défaire des échanges argumentés. On rencontre ainsi au fil de l’eau Chris, a.k.a le señor Tennenbaum, professeur des écoles et accro à la gonflette et à sa série télévisée turque (seul programme rescapé de l’ancienne vie sur Terre), Felix Van Der Vaart, l’ado rebelle en mal d’aventures ou encore Buddy, le postier joggueur à l’âge canonique.

Pour avancer dans l’histoire, Mareaux nous rappelle le fonctionnement de notre PDA, notre petit ordi pote de poche sur lequel nous pouvons consulter nos mails et nos tâches à réaliser. Une partie d’entre elles servent à faire avancer le scénario tandis que d’autres sont l’occasion pour développer des histoires secondaires de longueurs diverses. Si le rythme est parfois inégal, et certains passages peuvent nous laisser languir par quelques allers retours un peu longuets, nous sommes rapidement plongés et captés par le monde dans lequel évolue Harold Halibut. Sa personnalité totalement lunaire et sa capacité constante à vivre la tête dans les nuages (un comble lorsqu’on vit 20000 lieues sous les mers) rendent l’épopée du Fedora I passionnante. Les petites histoires du quotidien sont des prétextes à des questionnements divers autour de l’écologie ou à l’économie de l’énergie, tout en mettant principalement en avant le thème de l’amitié. La façon dont Harold se lie aux siens, apprend à les connaitre, et les aide à se connaitre eux-mêmes est explorée à fond. Les rencontres faites par Harold, notamment une décisive, sont servies par des dialogues finement ciselés et rudement bien écrits. Plusieurs phases du jeu ne font certes pas avancer le déroulement de l’histoire mais nous touchent particulièrement par leur portée poétique et leur art de prendre le temps. Une certaine quête en plusieurs temps n’est pas sans nous rappeler Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (sous certains aspects) par sa faculté à faire appel à l’enfant curieux qui est en nous.

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Pour servir cette histoire singulière, véritable bulle de poésie, le choix artistique du studio l’est tout autant. On imagine les créateurs fans de Wallace et Gromit pour en arriver à décider d’imaginer un jeu à partir de la création manuelle intégrale des personnages en argile pour une bonne trentaine de modèles 3D différents. Et si l’exploit n’était pas suffisant, ils ont également créé les décors à base de métal, bois et autres matériaux. Finalement, c’est un véritable «Vaisseau-Arche façon maison de poupée» que l’équipe a créé de A à Z, soit un travail titanesque que Slow Bros. a abattu durant ces dernières années. Tous ces éléments ont ensuite été capturés en stop motion puis animés numériquement. Il en ressort une totale fluidité manette en mains. La démarche chaloupée de Harold (que nous pouvons faire presser le pas grâce à la touche X) n’apparait pas du tout saccadée. Nous voyons notre héros évoluer au sein de son univers figé dans les années 70 pour une direction artistique rétro futuriste qui nous rappelle un peu la Station du Cygne dans Lost. Les décors fourmillent de détails, tout comme les dialogues. Il est d’ailleurs possible de zoomer sur certaines zones afin de se laisser aller à contempler l’énorme travail réalisé par l’équipe de création.

Le résultat de ce choix entre stop motion et numérique est tout bonnement somptueux. Les développeurs empruntent un bon nombre de techniques au cinema, comme le soin tout particulier apporté au travail sur les lumières ou encore l’attention prêtée aux différents plans. La partie animation numérique est, elle aussi, de grande qualité. On pense notamment à l’environnement aquatique que nous percevons autour et à travers du vaisseau. Les bancs de poisson que nous entrevoyons au travers des vitres du Fedora I sont fluides et semblent s’animer indépendamment du reste. Il en ressort alors une impression de vie autour du vaisseau, contribuant à notre immersion.

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Le travail sur le son est lui prodigieux. Tant par le sound-design hypersoigné, avec les conversations en stéréo et les vibrations du métal du vaisseau, que par les musiques. Ces dernières contribuent grandement à l’aspect poétique du titre. On pense notamment au thème principal, plusieurs fois répété dans les phases de cinématiques, et dont une sorte de douce mélancolie émerge. Certaines musiques sont originales et crées pour le jeu, là où d’autres ont été savamment choisies, et parfois interprétées par des membres du studio, comme la Nocturne Op9 N°2 de Chopin et dont Olat Hemikoglu, lead designer du studio nous gratifie.

Bien évidemment, en bon jeu narratif, Harold Halibut est très simple manette en mains. Aller et venir dans les couloirs du Fedora, puis appuyer sur A pour interagir avec nos congénères sont l’essentiel de notre occupation. Toutefois, certaines quêtes nous font, un peu trop rarement, réaliser d’autres actions, comme régler les oscillations de deux bandes sons ou jouer à deux ersatz de Superman 64 dans la salle d’arcade. Quelque phases de dialogues nous font choisir nos réponses, mais sans quelconque conséquence sur le déroulement de l’aventure. Entièrement doublé en anglais et sous-titrés en français, les le jeu d’acteur est qualitatif, mais la synchronisation labiale pas toujours au point. Quelques dialogues sont malheureusement parfois sous titrés en anglais, voire non sous titrés mais cela reste assez rare et sera sans doute rapidement corrigé via un patch. Malheureusement, nous regrettons l’absence de rejouabilité du jeu. L’absence de chapitrage ne permet pas de revenir là où nous aurions pu oublier une interaction ou deux, et c’est un peu frustrant. A noter enfin, Harold Halibut est disponible sur Xbox Series X|S mais ne possède pas de version Xbox One.  

8/10
Portant des thèmes forts capables de parler à toutes et tous, Harold Halibut se vit comme un moment suspendu dans le temps tout en invitant à la réflexion et la quiétude. Oscillant constamment entre jeu et film, cette fresque narrative pêche parfois par un petit manque de rythme mais ses intentions et sa réalisation technique impeccable en font un titre empli de générosité et de sincérité. Que l’on soit client ou non du stop motion et du design de ces personnages d’argile, on ne peut qu’être admiratifs de la tâche colossale réalisée par une équipe si réduite, qui nous propose une fable en huis clos de très grande qualité.

+

  • Réalisation technique irréprochable
  • Fluidité entre stop motion et animation numérique réussie
  • Personnages travaillés en profondeur
  • Harold terriblement attachant
  • Sons et musiques au top

-

    • Rythme inégal
    • Pas mal d'allers/retours
    • Absence de chapitrage après la fin