Test : Le Crime de l'Orient Express sur Xbox Series X|S
De Constantinople à Istanbul
On ne compte effectivement pas le nombre de fois où ce célébrissime roman policier nous a été présenté. Le monde du jeu vidéo n’y déroge pas, avec une première tentative réalisée en 2006 par AWE Games et The Adventure Company. Un titre qui prenait la forme d’un jeu d’aventure point and click sur PC, dans lequel nous n’incarnions pas directement Poirot mais une détective amatrice. Microïds Lyon décide aujourd’hui de compiler les inspirations tant cinématographiques que vidéoludiques du roman puisqu’il transpose l’aventure à nos jours, en nous proposant d’incarner – en partie – une nouvelle inspectrice.
Débutant dans un hôtel Stambouliote, l’intrigue ne se place plus dans les années 1930 mais bien actuellement, dans un futur très proche, le 15 décembre 2023. Nous découvrons un Hercule Poirot plus proche du physique de Kenneth Branagh que de David Suchet, aux faux-airs d’un Tom Selleck dans Magnum. Affublé de sa précieuse moustache, Poirot vient de finir une quête en Syrie et est rappelé d’urgence à Londres pour un nouveau mystère. Il croise ainsi le chemin d’un bon ami à lui, Monsieur Bouc qui n’est autre que le directeur du train de l’Orient Express, qui fête ses 140 ans par un nouveau voyage. Une réalité puisque c’est effectivement le 4 octobre 1883 que fut inauguré le «Roi des trains» qui rallia Paris à Constantinople (à l’époque) pour la première fois. Une volonté des développeurs de transposer cette histoire en 2023, mais qui pourrait entrainer une certaine dissonance cognitive chez certains. Il existe certes quelques éléments qui rendent l’histoire pleinement ancrée dans notre monde moderne, comme le sempiternel téléphone portable ou le liquide de e-cigarette, mais le comportement et les attitudes des protagonistes sont plutôt du siècle dernier, ce qui donne un rendu assez étrange du point de la situation temporelle de l’intrigue.
La discussion des deux amis se trouve interrompue par le Capitaine Arbuthnot, un futur passager du train dont le précieux sésame pour monter à bord du train a disparu et semble avoir été dérobé. C’est ainsi que le jeu nous invite à découvrir ses mécanismes et son fonctionnement pour l’entièreté de l’aventure. Après avoir résolu ce premier mystère, nous embarquons pour Paris à bord du train mythique. Tant sur les quais que dans le train nous faisons ainsi la connaissance des différents protagonistes qui accompagneront Poirot tout au long de son périple. Une galerie de personnages totalement fidèles à l’œuvre originelle, mais avec quelques ajouts. Notamment celui de Joanna Locke, qui devient au fur et à mesure de l’histoire une épaule sûre pour le détective belge. Un meurtre est évidemment commis que Poirot doit bien sûr résoudre à l’aide de ses célèbres petites cellules grises. Pour nous éviter un déroulé calqué sur l’intrigue initiale, les créateurs ont imaginé l’introduction de cette inspectrice américaine, que nous pouvons incarner en plus de Poirot, notamment dans des flashbacks pour «un mystère dans le mystère». Une sorte d’inception de détective qui permet de gratifier le titre d’heures supplémentaires. Mais pas des heures inutiles et superflues. Ce sont au contraire elles qui font l’intérêt du titre.
Le choix de Microids de proposer de l’inédit est en effet essentiel pour nous capter et nous donner envie de poursuivre l’aventure. Un roman aussi souvent lu et transposé à l’écran reste facilement dans notre mémoire, et de fait, nous nous sommes très rapidement souvenus du fin mot de l’enquête. Mais c’est là où les choix et modifications du studio trouvent tout leur intérêt. Introduire de nouveaux éléments nous permet alors de douter de nos certitudes et nous appliquer pour découvrir le dénouement final. Le roman originel est connu pour être riche en rebondissements tels qu’Agatha Christie savait le faire, mais les scénaristes du jeu ajoutent ici une couche de coups de théâtre supplémentaire pour nous surprendre. Des rebondissements ont clairement eu le mérite de nous scotcher, c’est pourquoi les développeurs relèvent à notre sens le défi de l’inédit pour une histoire vieille de bientôt 90 ans. Et pour ça, chapeau.
En revanche, pour servir cette histoire, le jeu s’appuie sur un gameplay pas franchement inédit, bien au contraire. Prenant la forme d’un point n’ click avec des déplacements libres, le Crime de l’Orient Express propose des mécaniques qui ne sont pas inconnues aux clients du genre. Pour commencer, la carte mentale, dans laquelle sont colligées toutes les trouvailles d’Hercule. Accessible via Y, elle ne fonctionne pas comme celles que nous pouvons trouver dans la licence des Sherlock Holmes, mais plus comme un «guide des choses à faire». Elle est certes bien utile quand on perd le fil entre deux sessions et que nous ne nous souvenons plus de la prochaine étape : c’est elle qui nous indique la marche à suivre. Une fonctionnalité utile mais peut-être un peu trop présente, laissant peu de place pour le doute et l’errance, sans savoir vers où aller. Le titre de Microïds n’a pas pour volonté de nous faire chercher des heures vers où se rendre, tout est indiqué, pour un résultat franchement dirigiste.
Cependant, pour nous permettre de justement faire fonctionner nos neurones, Hercule Poirot doit résoudre au fil de l’histoire et de ses rencontres des «Ateliers». Ceux-ci fonctionnent sous forme de mini-énigmes que nous devons résoudre à la demande d’un personnage par exemple pour qu’il accepte de répondre à nos questions, ou pour ouvrir un coffre ou une valise de passager. Ces ateliers sont d’intérêt et de défi très divers. Une partie d’entre eux sont vraiment enfantins, d’autre un peu plus retors. Selon notre envie de se creuser la cervelle, nous pouvons recourir ou non à des indices en appuyant sur Back. D’autres mécaniques sont basées sur notre faculté de déduction. Nous sommes invités par exemple à recouper les témoignages des acteurs et actrices de l’histoire. Et au besoin, si nous mettons les doigts sur une incohérence dans leur récit, nous pouvons les confronter. Lors de cette confrontation, tout comme dans certaines phases de dialogues, nous pouvons choisir les faits incriminants pour parvenir à nos fins. Pas franchement de défi dans ces moments, puisqu’une erreur dans le choix du dialogue se solde par un «refus» de l’enquêteur, puis nous pouvons tranquillement choisir la seconde option. Pas de conséquences donc pour des choix erronés. Il semble alors que le titre de Microïds Lyon s’adresse en premier lieu à un public moins habitué aux jeux d’énigmes, mais plutôt à celles et ceux qui veulent passer un bon moment avec quelques moments de réflexion dans un jeu d’aventure d’assez bonne facture. Un peu d’adversité reste légèrement possible pour celles et ceux qui souhaitent réussir les 1000G, puisque les succès sont associés principalement à l’accomplissement des tâches sans erreurs et sans aide. Le gameplay reste donc propre et sans fioritures, en étant de plus pas désagréable à regarder.
Car techniquement, le jeu nous change. Bien loin de la vue en 3D isométrique des deux itérations précédentes réalisées par le petit studio écossais Blazing Griffin, nous entrons – tout comme Hercule Poirot – dans une nouvelle ère. En vue à la troisième personne, nous pouvons arpenter en long, en large et en travers le fameux train. Malheureusement, parfois jusqu’à l’écœurement car le détective Belge est lent, très lent. Et tout comme dans l’opus précédent, nous ne pouvons pas courir. Et c’est bien dommage, car parfois nous devons aller et venir entre le wagon-restaurant et les wagons-lits, au prix d’une franche perte de temps. Cette absence de «marche accélérée», tout comme une certaine rigidité dans les déplacements nous ont d’ailleurs dégoutés de l’envie de collecter les bonus que sont les «Golden Moustaches» parsemées ici et là dans les différentes scènes. En revanche, la modélisation du train et des environnements est plutôt réussie. Les textures, même perfectibles, rendent parfaitement l’atmosphère du train, avec ses revêtements en bois de noyer bien reluisant et clinquant.
Développé sous Unity, le jeu pêche malheureusement très largement sur ses modèles 3D des visages et sa synchronisation labiale complètement aux fraises. Hildegarde Schmidt ou Greta Ohlsson ont des visages tous droits sortis d’un film d’horreur parodique qui nous ont prêté à sourire, quitte à nous sortir de l’intrigue, et c’est dommage. Notamment quand on pense que Syberia : The World Before, par le même éditeur et développé sur le même moteur il y a plus d’un an est de bien meilleure qualité sur ce point. A l’instar de ce dernier, les doublages et la VF sont très clairement qualitatifs. Ils rendent parfaitement hommage aux dialogues imaginés par les concepteurs qui sont bien ciselés et nous font esquisser un certain nombre de sourires. Ce d’autant que, malgré des modélisations mochissimes, les visages restent parfois expressifs. Une impression étrange en ressort alors, entre satisfaction de cette expressivité, le tout sur un visage aux contours scalpés à la truelle. Les environnements sonors sont assez génériques.
Le bilan reste ainsi en demi-teinte. Parfaitement satisfaits de cette quinzaine d’heure durant laquelle nous nous trouvons, au fil de dialogues bien trouvés, et de recherches inédites, en quête d’un nouvel assassin, nous sommes frustrés de ne pouvoir accélérer le pas ou de pouvoir converser avec des personnages plus modernes, tant dans leurs habitudes que dans leur modélisation. La bande-annonce laissait entendre un rythme plus épique que celui auquel le joueur est finalement confronté.
+
- A la fois respectueux de l'œuvre et innovant
- Décors plutôt agréables et immersifs
- Doublage qualitatif et VF réussie
-
- Lenteur de déplacements du personnage
- Modèles 3D ratés
- Synchronisation labiale aux fraises