Jeux

Shadows of Doubt

Infiltration | Edité par Fireshine Games | Développé par ColePowered Games

7/10
One : 26 September 2024 Series X/S : 26 September 2024
15.11.2024 à 15h05 par

Test : Shadows of Doubt sur Xbox Series X|S

Ascenseur pour l'échafaud

Après une longue phase de développement et d’accès anticipé sur PC, Shadows of Doubt, développé par le studio britannique ColePowered Games, a finalement été porté sur consoles le 26 septembre dernier. Une sortie prématurée synonyme de gros problèmes d’optimisation. Au point que nous n’avons pas été en mesure de vous proposer un test jusqu’à ce que la toute dernière mise à jour de ce titre prometteur change enfin la donne. Assez de temps perdu, voyons donc ensemble ce qu’il a dans le ventre !

Shadows of Doubt est un jeu d’enquête et d’infiltration en voxel, un procédé utilisé notamment pour l’imagerie médicale. Appliqué à notre loisir préféré, comme dans Minecraft ou Teardown par exemple, il autorise de vraies audaces en matière de level design (verticalité, intrication des cheminements), ou de gestion des décors (gravité, destruction, mobilité). Un choix judicieux pour créer un univers dystopique dans lequel vous devez mener de longues investigations. Starch Kola, une multinationale omnipotente et omnisciente, y règne sans partage et emploie ses propres exécuteurs privés afin d’assurer l’ordre et rendre SA justice, à l’instar des Pinkerton’s aux États-Unis dès le 19e siècle.

La planète ayant été ravagée par l’industrialisation forcenée, il ne subsiste plus que quelques métropoles épargnées par la montée des océans, mais pas par la pollution, la corruption ou le crime. Pour espérer fuir cet enfer et se retirer dans « Les Champs », une zone protégée, il faut bénéficier d’un score élevé de crédit social (10 en l’occurrence). C’est votre quête ultime de petit détective perdu dans ce monde effroyable. Ajoutez à ce tableau idyllique un style architectural calqué sur celui des pays du pacte de Varsovie pendant la guerre froide et vous aurez une idée assez précise de l’ambiance apocalyptique de Shadows of Doubt.

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Pour pimenter le tout, ColePowered Games a soigné ses éclairages avec une météo dynamique — minimaliste, mais bien pensée — et des clairs-obscurs typiques du film noir, ou du cinéma horrifique anglais (les fameuses productions Hammer). On pense à Sherlock Holmes, aux romans de Raymond Chandler, au quartier de Whitechapel à Londres, théâtre sanglant des crimes de Jack l’Éventreur et, bien sûr à Deus Ex, Blade Runner ou à Cyberpunk 2077. Et, comble d’aise, le sound design est à l’avenant ! Présent, mais sans outrance, il accompagne vos pérégrinations avec beaucoup de justesse et d’intelligence. Tout y est : bruit des portes, des ascenseurs, des pas dans les escaliers et les corridors, avec juste assez d’écho pour créer un effet saisissant. Il y a aussi les alarmes stridentes, le sifflement du vent lorsque vous sortez, les grondements du tonnerre, la rengaine de la pluie battante, etc. Cerise sur le gâteau, les développeurs ont même introduit une voix off à la « Big Brother » qui ânonne ponctuellement des directives absurdes ou plus prosaïquement, en croisant un téléviseur allumé, des dialogues façon film noir avec flic ombrageux, gangster psychopathe, femme fatale et victime expiatoire. Ce faisant, Shadows of Doubt a le don étonnant de vous happer complètement et de ne plus jamais vous lâcher ! Malheureusement, les rares passages musicaux ne sont pas aussi réussis. Ils se veulent néo-rétro en lorgnant du côté du rock progressif à la Kraftverk ou Tangerine Dream, ou de la musique électronique des années 80, mais les limites du budget se font sentir et les thèmes se répètent sans éclat ni originalité. C’est fade et on oublie rapidement cet aspect du jeu qui passe heureusement au second plan.

Fort d’une telle atmosphère, Shadows of Doubt peut alors exploiter pleinement son concept de génération procédurale très perfectionné et déployer ses mécaniques de gameplay. Tout s’articule autour d’une entité complexe : la ville. Créée de toutes pièces ou préexistante, elle ne se résume pas à des murs et des rues, mais intègre une base de données gouvernementale extrêmement fournie qui répertoria toutes les informations relatives à ses habitants (de 300 à 700 habitants) : nom, prénom, adresse, numéro de téléphone. Ça, c’est le sommet de l’iceberg, ce à quoi vous aurez accès rapidement en piratant certains lieux pour conserver cet annuaire sur vous, ou en accédant à un téléphone dans un appartement ou lieu public. Le reste, que vous devrez découvrir par vous-même au gré de vos enquêtes, va de la date de naissance au numéro de sécurité sociale, du contrat de location de chaque habitation aux empreintes digitales, des relations de travail aux relations personnelles, du salaire aux lieux de rencontre, des e-mails, aux mots de passe d’ordinateur, etc.

Dès lors, Shadows of Doubt prend toute sa dimension et dépasse largement les ambitions de nombreux jeux indépendants. Tous les meurtres, cambriolages, enlèvements avec demande de rançon, vols, tentatives d’extorsion, ou arnaques à l’assurance, seront générés de façon aléatoire, selon une logique implacable grâce à cette fameuse base de données gargantuesque ! Sur le papier, ça semble un peu confus. Dans les faits, ça fonctionne remarquablement. Par conséquent, le jeu offre une profondeur peu commune et une rejouabilité exceptionnelle, car vos aventures se renouvellent sans cesse, passant d’une simple filature, à un vol de document, d’un contrat d’assassinat au fin fond d’un appartement luxueux ou à la résolution d’un crime brutal commis en pleine rue.

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Et Shadows of Doubt vous offre des possibilités incroyables ! Outre un indispensable carnet de notes, une carte et un tableau permettant d’agencer les documents ou preuves que vous glanerez au fil de vos enquêtes, vous aurez accès à la panoplie complète du petit détective, voire à celle de l’espion en herbe : appareil photo, scanner, magnétophone, décrypteur, menottes, objets contondants, armes de poing, etc…

Dans le cas d’un meurtre, qui correspond à la plupart des grosses affaires – entendez celles qui vous feront progresser le plus -, vous recevrez généralement l’adresse du lieu où le crime a été perpétré. Sur place, vous devrez inspecter le cadavre de la victime, prélever ses empreintes et celles qui ne lui appartiennent pas (s’il y en a), analyser les traces de sang, chercher l’arme du crime ou d’éventuelles douilles et tout scruter de fond en comble : poubelles, tiroirs, carnet d’adresses, table de chevet, placards, post-it sur le frigo, pharmacie, ordinateur, documents personnels, etc. Évidemment, au hasard des circonstances, vous récolterez quelques indices directs (type de blessures, douilles, menaces écrites), et de nombreux éléments périphériques, comme des tickets de restaurant, des factures, des ébauches de rendez-vous, une correspondance passionnée ou vindicative, des adresses de proches ou d’éventuels témoins. Ensuite, vous devrez effectuer un travail de fourmi pour obtenir des témoignages, des emplois du temps, des vidéos grâce aux caméras disposées dans les lieux publics, des objets volés cachés dans des coffres, etc.  Or, tout ne vous est pas offert sur un plateau. Il faudra vous armer de patience pour parvenir à vos fins, ruser, pirater des systèmes de sécurité, soudoyer telle ou telle personne pour accéder à certaines informations et, in fine, recouper tous les éléments en votre possession pour arrêter un suspect. Vous aurez alors la possibilité de remplir une fiche d’enquête pour résoudre l’affaire… ou pas, pour peu que vous vous soyez trompé ! Le jeu analyse ensuite votre travail pour le confirmer, ou l’infirmer si vous avez arrêté un innocent, auquel cas vous n’obtiendrez rien. En revanche, une enquête rondement menée et parfaitement résolue vous octroiera crédit social et monnaie sonnante et trébuchante. Peu à peu, vous débloquerez ainsi certains avantages, comme les déplacements rapides et l’accès à des zones restreintes réservées aux élites (« les échelons »). Cette construction est réellement enthousiasmante tant les possibilités sont nombreuses et les enchaînements naturels.

Non content d’offrir un gameplay aussi dense, le bébé de ColePowered Games, comporte aussi un socle RPG avec des points de crédit social, bien sûr, mais encore des améliorations sous forme d’implants numériques, des factions, un marché noir et une société de caste à la Métropolis. Par ailleurs, il aborde en filigrane des questionnements relatifs au crime organisé, à la prostitution, au trafic d’organes, ou à l’eugénisme. Le jeu est tellement riche qu’il est difficile d’en faire le tour. C’est étourdissant. D’autant plus qu’il est possible de tout paramétrer : difficulté, durée des enquêtes (ce qui détermine le niveau de crédit social), mode sandbox, sous-titres, mort permanente, fréquence des phénomènes météorologiques, indices en surbrillance, et même la possibilité de créer sa propre ville en mode éditeur !

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Pour autant. Ça ne va pas sans contraintes. L’ergonomie a été établie pour le duo clavier/souris, et si l’utilisation de la manette est globalement satisfaisante, le confort général et la vitesse d’exécution en pâtissent tout de même beaucoup. Qui plus est, la structure globale du gameplay implique des limitations relatives aux interactions, aux dialogues ou à des évolutions scénaristiques qui obéissent parfois à une dynamique un peu abrupte. Cela vous oblige de temps à autre à multiplier des actions redondantes afin de garder en mémoire certaines informations ou valider une preuve (empreintes digitales, par exemple). Bien qu’il n’y ait rien de véritablement rédhibitoire, les tâches par nature répétitives peuvent devenir irritantes sur Xbox, comme la gestion des éléments à ajouter au tableau d’enquête, dont le nombre augmente rapidement de façon exponentielle. Pour ne rien arranger, quelques bugs persistants apparaissent encore ici ou là et vous ne pouvez toujours pas fouiller le contenu d’un portefeuille, par exemple. Les informations s’affichent, mais l’animation plante lorsqu’on clique sur l’item concerné. Ce n’est pas vraiment pénalisant, car il est presque toujours possible de contourner ces écueils, mais au fil de l’aventure, ces défauts deviennent pénibles. Le pire étant le retour à l’accueil avec fin de non-recevoir lorsqu’on charge une partie… Fort heureusement, la sauvegarde se déroule désormais sans encombre.

Reste l’aspect technique à proprement parler. Malgré plusieurs patches, la fluidité est imparfaite. Vos déplacements sont souples et vifs, cependant, les décors apparaissent occasionnellement avec un peu de retard et quelques sources lumineuses tremblotent encore ici ou là, histoire de flinguer vos yeux en contre-jour…

7/10
Shadows of Doubt se distingue par son atmosphère, sa richesse, sa profondeur, sa complexité et son extraordinaire pouvoir d’attraction. Il se démarque aussi par sa cohérence et son originalité. Des qualités de plus rares dans l’univers vidéoludique. Du reste, avec son ADN en voxel et sa conception initiale pour PC, le jeu édité par Fireshine Games souffre de réels problèmes techniques sur Xbox et rate de peu l’excellence. Il navigue constamment entre deux rives, à l’image du héros que vous incarnez. Séduisant, mais pas assez fluide ; dense, mais désordonné sur console ; passionnant, mais parfois instable et décourageant. De fait, Shadows of Doubt est un peu comme ces whiskies tourbés que sirotent pensivement les héros de films noirs sans pouvoir étancher leur soif de vérité ni tempérer leurs tourments. Il s’améliorera probablement avec le temps, au fil des mises à jour, et il vous fera vivre plusieurs expériences de jeu magnifiques. Toutefois, il vous demandera aussi quelques sacrifices en échange. C’est le prix de l’espoir et de la lumière pour vaincre le doute et ses ténèbres.

+

  • Concept génial
  • Level-design
  • Richesse et cohérence de l'univers
  • Profondeur du gameplay
  • Direction artistique et éclairages
  • Sound design immersif
  • Accessibilité poussée
  • Durée de vie et rejouabilité
 

-

    • Optimisation indigente
    • Technique à la traîne et bugs récurrents
    • Plantages aléatoires lors des sauvegardes
    • Ergonomie pensée pour le PC
    • Opacité de certains aspects du gameplay
    • Habillage musical décevant

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