Jeux

Star Trucker

Simulation | Edité par Raw Fury | Développé par Monster & Monster

9/10
One : 03 September 2024 Series X/S : 03 September 2024
03.09.2024 à 16h01 par

Test : Star Trucker sur Xbox Series X|S

Dessine-moi un camion !

Depuis 2015, Raw Fury fait régulièrement confiance à de petits studios de développement pour mener à bien ses projets. Une démarche aussi courante que délicate, mais qui dans le cas de l’éditeur suédois porte le plus souvent ses fruits : Bad North en 2018, Night Call en 2019, Call of the Sea et West of Dead en 2020, ou encore Townscrapper en 2021. Aujourd’hui, cette aventure se poursuit avec Star Trucker, réalisé par Monster and Monster pour sillonner les étoiles à bord d’un semi-remorque. Contact !

C’est peu de le dire, car le jeu se lance très rapidement et, dès le menu d’introduction, semble répondre à la promesse évoquée dans les extraits du dossier de presse qui accompagnaient sa présentation : « Apprivoisez la route la plus ouverte de toutes : l’espace ! ». Jugez plutôt. Au premier plan, une remorque attelée à un gros camion américain tout habillé de chrome, et prêt à en découdre avec les kilomètres. En toile de fond, le cosmos en mouvement, le tout remodelé par les mains expertes des développeurs dans un esprit digne d’un comic book. Pour parfaire cette première approche, Star Trucker s’appuie sur une bande-son que ne renierait pas une production hollywoodienne avec de la country bluegrass et du pop-rock en guise de credo. Il faut dire que Raw Fury s’est adjoint les services de Randall Breneman, célèbre auteur-compositeur, multi-instrumentiste et touche-à-tout (films, pubs, série TV, jeux). L’homme est originaire de Chicago, passé par l’école de musique créée par Paul McCartney à Liverpool et il est bien connu des fans de HPI puisqu’il a écrit le morceau « Bad Sometimes ».

Fort de ce pedigree à toute épreuve, le titre de Raw Fury capte d’emblée l’attention avec une ritournelle dans les oreilles et installe une ambiance cosy extrêmement plaisante qui invite à lever le voile sur la suite. D’autant que les bruitages sont à l’avenant, c’est-à-dire, variés, immersifs et très soignés.

En commençant une partie, cinq niveaux de difficulté sont proposés (personnalisée, chauffeur, recommandée, mécano, hardcore). Et si le mode normal ou recommandé est très bien équilibré, attendez-vous toute de même à du challenge ! Pour autant, le jeu vous prend par la main avant de vous lâcher dans la galaxie et tout en suivant un petit tutoriel très bien conçu, vous allez faire connaissance avec une bande de joyeux drilles qui vont vous accompagner lors de vos périples, grâce à une radio CB, et découvrir votre chez-vous. Devant vos yeux ébahis et sous la ligne d’horizon que dessine votre véhicule avec l’infini, se dresse ainsi un tableau de bord assez complet proposant deux écrans, trois cadrans dont un tachymètre et toute une série de boutons fonctionnels. Dés lors, Vous pouvez vérifier la quantité d’essence de vos réservoirs, l’oxygène et la température de la cabine, votre vitesse de déplacement, commander vos phares et vos veilleuses, l’éclairage de votre habitacle, le pilote automatique et, raffinement suprême, la climatisation. À gauche, une manette d’arrimage avec visualisation des manœuvres depuis une caméra de recul et ses petites sœurs pour scruter les environs via la croix directionnelle. À droite le freinage d’urgence et un moniteur de contrôle relatif aux nombreux modules consommables de votre engin : fusibles, filtres à air, absorbeurs de chocs électriques, batteries, etc.

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En regardant vers le bas et en actionnant la touche A, votre siège pivote à 180° et vous donne accès au reste de la cabine qui est flanquée de deux couchettes et surplombée par un sas de sécurité pour entrer en contact avec l’extérieur ou échanger avec les différentes boutiques que vous croiserez pendant vos voyages. Vous disposez en outre d’un scaphandre pour sortir dans le vide intersidéral et réparer votre véhicule, ou effectuer quelques petites missions de nettoyage et de récupération. Pour terminer ce tour du propriétaire, un mur d’étagères permet de ranger tout votre équipement et diverses trappes protègent les appareillages que vous serez amené à remplacer régulièrement. Cerise sur le gâteau, enfin dessous plus exactement, une boîte à gant est cachée au niveau de vos genoux et abrite un menu qui reprend toutes les fonctionnalités de votre camion point par point avec force illustrations. Simple, rapide, efficace !

Dix minutes sont passées, vous avez survécu à votre baptême extravéhiculaire sous la férule d’un certain Dusty Bear avec la CB, et vous avez un nouvel indicatif : Lucky Jay ou « LJ ». Voici donc venu le moment de récupérer votre premier chargement et d’apprendre à maîtriser l’arrimage qui vous servira aussi bien à tracter des remorques qu’à interagir avec les boutiques et les panneaux proposant diverses missions de transports.

L’opération requiert de la précision et du doigté, mais avec l’aide de la caméra dédiée et des repères intégrés à l’écran de supervision, on y arrive assez rapidement. C’est d’ailleurs là que Star Trucker révèle une autre facette de sa richesse : son gameplay. Tout est intuitif, fluide, fin et progressif, tout répond au doigt et à l’œil qu’on soit derrière le « volant », dans le scaphandre, à l’intérieur en train de changer des consommables ou en plein rangement du cockpit. Les développeurs ont même prévu qu’on puisse garder la combinaison spatiale pour conduire (c’est parfois bien utile), ou actionner la radio sans avoir forcément besoin de s’installer aux commandes. Tout se pilote avec les deux joysticks, et les quatre gâchettes. Qui plus est, vous pouvez régler l’ensemble à votre convenance et tout oublier dans la foulée pour vous consacrer à votre aventure. C’est remarquablement conçu, c’est naturel et il n’y a pas le moindre bug à signaler. Quel bonheur !

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On en oublierait presque qu’il y a tout un univers à découvrir ! Heureusement, les « panneaux d’emplois » qui répertorient les livraisons disponibles vous remettent vite dans le droit chemin, celui du capitalisme à l’américaine. De fait, toutes les tâches correspondent à des contrats classés en fonction de la distance, du poids, du type de marchandise, de la taille du convoi, du nombre de « portails de saut » à passer, des certifications requises, de la durée estimée et, surtout, du temps restant pour vous en acquitter, car voyez-vous, pendant que vous lambinez, le système solaire continue de tourner. Et si vous signez simultanément trois transactions sans prendre la peine de lire les clauses afférentes et que pour accomplir votre premier voyage vous empruntez une barrière stellaire permettant d’atteindre un secteur de la galaxie (encore ces fameux « portails de saut »), vous allez certes gagner trente minutes sur la mission en cours, mais peut-être avancer de trois heures sur la suivante qui exige d’explorer une nouvelle zone… Et ce faisant, le risque de rompre unilatéralement vos autres engagements par simple inadvertance et manque de temps va devenir une réalité sonnante et trébuchante ponctionnée sur vos maigres avoirs ! Ajoutez à cela, l’entretien de votre véhicule, les dangers de l’espace, les péages indissociables des portails eux-mêmes, et divers frais inhérents au métier (taxes en cas de surcharge, de fraude, d’infraction routière, ou remboursements dus à d’éventuelles collisions), et vous comprendrez que Star Trucker n’est pas là que pour rigoler. Vous pouvez même vous retrouver en faillite en moins de temps qu’il n’en faut pour percuter un astéroïde.

C’est aussi plaisant qu’exigeant dans la mesure où vous devrez tout maîtriser de bout en bout pour avancer dollar après dollar dans le monde impitoyable du fret intergalactique. Le hic, c’est que vous n’aurez pratiquement aucun droit à l’erreur. Du moins, en mode « recommandé ». Partant, le mode « chauffeur » sera peut-être préférable pour un premier essai. En contrepartie, ce défi permanent fait tout le sel du jeu qui a tout prévu dans ses moindres détails. Vous êtes sur la paille ? Hop, la banque vous octroie un crédit spécial le temps de vous refaire, mais vous devrez rembourser votre dette fissa (de 96 heures à quelques semaines en fonction du niveau de difficulté choisi). Vous avez eu un accident ? Fort heureusement, votre assurance vous alloue une aide exceptionnelle pour faire face à la situation. Cependant, vous devrez tout payer rubis sur ongle in fine et si le boulot n’attend jamais, les factures non plus ! Qu’à cela ne tienne, vos nouveaux amis vont vous proposer telle ou telle activité plus ou moins ardue ou légale afin de sortir du pétrin et de gagner vos galons de routier stellaire.

L’astuce est un peu facile et on l’a déjà vue des milliers de fois, mais comme tout est très bien amené, elle s’accompagne d’une petite dynamique RPG. En accomplissant certaines missions, vous déverrouillerez peu à peu l’ensemble de la galaxie. En accédant à des contrées inexplorées, vous obtiendrez les qualifications les plus pointues et ce faisant, vous pourrez décrocher les contrats les plus lucratifs (et les plus périlleux, bien sûr), etc. Une logique imparable qui se matérialise par une carte enrichie de légendes très complètes, un suivi de progression auprès de vos alliés, et en dessert, un arbre de compétences. Et bien entendu, pour réparer et personnaliser votre camion, les garages, ateliers d’amélioration et ateliers de peinture vont vous proposer de plus en plus d’items au rythme de votre avancée. Certains à acheter directement, d’autres à obtenir en parcourant une distance donnée, en atteignant tel ou tel niveau, d’autres encore avec un DLC à venir (« Pack d’amélioration amplifiée »).

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Vous pouvez aborder la chose comme il vous sied, la cohérence du titre permettant de compenser les faiblesses inhérentes au genre. Ça n’évite pas les redites et le jeu fait aussi du recyclage de « quêtes Fedex », néanmoins dès que la lassitude pourrait prendre le pas sur le reste, Star Trucker trouve une petite astuce pour maintenir l’éveil et choyer son public. Vous changez de secteur ? La douane volante — littéralement puisqu’il s’agit de drones — vous contrôle. Vous venez de refaire le plein et de passer à la boutique en achetant plus de consommables que vous n’en avez besoin pour ne pas y revenir tout de suite ? Paf, la DDE sidérale vous impose l’épreuve de la pesée. Vous commencez à vous enfermer dans une forme de routine ? D’un coup le paysage change radicalement ou évolue sensiblement et vous oblige à rester en alerte. Vous avez coupé la radio ? Qu’importe. De temps à autre une petite musique d’ambiance très éthérée vous réveille et vous dépayse encore. Vous trouvez que vos comparses radotent sur la CB ? Eh bien, sans crier gare, ils vous proposent un peu de contrebande et aménagent un nouveau compartiment secret dans le plancher de votre véhicule. Ça n’a rien de révolutionnaire. Toutefois, vos longues traversées demandent autant de concentration que de méthode et en vous titillant au bon moment ou en vous faisant frissonner ça et là, le bébé de Raw Fury et Monster and Monster fait fi des écueils habituels et distille un vrai plaisir de jouer. Un plaisir durable. Et il faudra bien ça pour en venir à bout. Car le contenu est respectable et la mécanique globale suffisamment dense pour vous occuper pendant des dizaines d’heures. C’est d’ailleurs cette maîtrise du détail qui achève de faire de Star Trucker un petit bijou à déguster Day one dans le Xbox Game Pass.

Les effets de lumières sont redondants par exemple, mais ils sont parfaitement ajustés. La bande-son est superbe quitte à bégayer au bout de quelques heures. Elle sait malgré tout ménager des silences pour mieux surprendre avec un harmonica intemporel ou une pedal-steel guitar agrémentée d’une veille reverb’ à ressort comme on n’en fait plus. À l’intérieur du camion, on a même ce côté chaud, un peu mat en médium, ce truc typique des amplis à lampes qu’on trouvait dans les vieilles Cadillac ou les juke-box. Passez en vue externe et le timbre va se resserer vers l’aigu avec un soupçon d’écho à la manière des petits hauts-parleurs. L’approche est identique pour les bruitages : omniprésents sans  jamais devenir envahissants. C’est tellement bien fait qu’à l’heure d’affronter le vide glacial de l’espace, on s’accroche au souffle désincarné du respirateur de son scaphandre pour tromper l’angoisse de la situation et on sourit en entendant des arpèges égrenés sur une guitare sèche ou le son étriqué de la radio de bord qu’on avait oublié d’éteindre et qui nous parvient avec un peu de retard…

Il y a aussi ces paysages vastes, mystérieux, azuréens, écarlates ou d’émeraude qui n’ont rien de renversant dans l’absolu, sauf qu’ils savent magnifier la profondeur par de subtils effets volumétriques et un art consommé du contrepoint. Et sur la CB, vos alter ego ont tous une personnalité marquée : rebelle, vive, piquante, paternaliste, fuyante, tatillonne… Rien de nouveau là non plus. Il n’empêche que les acteurs sont bons et les textes plaisants, de sorte que chaque petite conversation amène de la vie et ponctue idéalement votre parcours. D’autres jeux font ce genre de choses, mais à quelques rares exceptions près, pas aussi bien, pas avec cette finesse et ce souci de la moindre fioriture.

9/10
En définitive, Star Trucker est un road movie des étoiles au carrefour de la simulation, du RPG, du jeu de gestion, du Metroidvania, du survival, avec pour fil conducteur, l’imagerie du camionneur américain : l’exploration initiatique, la musique détendue, le ton débonnaire et un rien irrévérencieux des adeptes de la CB (ou citizen’s band), les gros engins éclatants de chromes et arborant fièrement des peintures personnalisées, le danger qui guette le voyageur imprudent, et en arrière-plan, le mythe de l’homme seul perdu dans l’immensité… Bien, mais l’essentiel, c’est que Star Trucker n’oublie jamais d’être un excellent divertissement. Si vous êtes réfractaire au genre, au vide intersidéral, au blues et aux monstres d’acier rutilants, passez votre chemin. Sinon vous savez ce qui vous reste à faire Game Pass day one !

+

  • Très belle réalisation graphique et sonore
  • Gameplay exceptionnel
  • Profondeur et cohérence
  • Soin apporté aux détails
  • Finition et réactivité
  • Aventure bourrée de charme

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    • Exigence des premières heures (mode recommandé)
    • Quelques traductions approximatives