Test : Syberia: The World Before sur Xbox One
Le Vaghen à l'âme
Syberia: The World Before fait directement suite aux événements de Syberia 3 qui n’avait pas laissé un souvenir impérissable du fait notamment d’une technique beaucoup trop datée pour 2017. Nous retrouvons ainsi Kate Walker, loin des Yokouls et des mammouths des premiers épisodes, et désormais prisonnière de l’exploitation d’une mine de sel, métaphore à peine dissimulée d’un goulag. Par diverses péripéties, elle découvre un portrait datant de 1937 dont le sujet lui ressemble étrangement. Adieu Valadilène, la ville fictive française ou Komkolzgrad et Aralbad, allégories de villes soviétiques, ce quatrième opus prend place dans un nouvel endroit fictif.
Bienvenue en Osterthal, un petit pays germanophone d’Europe centrale proche de la Suisse et dont la capitale se nomme Vaghen. Nous suivons notre héroïne qui, poursuivant son éternelle fuite en avant, se lance sur les traces de cette jeune femme aux traits si proche des siens. Pour se faire, elle explore Vaghen dans les années 2000 et, telle une historienne, se met en quête de documents, de lieux et d’indices qui lui permettent de remonter le temps pour tenter de comprendre qui était réellement Dana et ce qu’elle a vécu en 1937. Une époque qui voit arriver à grands pas la Seconde Guerre Mondiale avec la montée du fascisme.
La pirouette de la contrée imaginaire, un élément cher à l’auteur qui y voyait une touche fantaisiste, permet au scénario de s’affranchir d’une véracité historique pouvant parfois entraver le bon développement d’une histoire. Ici, la population visée par l’extrême droite est celle des Vagérans, et les nazis ont pour incarnation les miliciens de «l’ombre brune». L’iconographie utilisée pour ces derniers est d’ailleurs plus qu’explicite, et pas besoin de longues palabres pour savoir à qui nous avons à faire. La nouveauté de ce nouvel épisode édité par Microids se trouve du côté des deux personnages jouables avec la nécessité d’incarner Dana Roze en plus de Kate. Celle-ci est une jeune pianiste virtuose de 19 ans qui doit faire face à ses premiers émois sur fond de guerre débutante. Une dimension autobiographique assumée puisque la famille de Benoit Sokal est originaire d’Europe de l’Est et a du fuir le nazisme.
En passant d’une jeune femme à l’autre, nous explorons ainsi les différentes lignes temporelles qui s’offrent à nous. Les automates Voralberg sont également de la partie et nous avons le plaisir de retrouver Oscar. Moins présents que dans les itérations précédentes, ces machines tiennent toujours une place importante et essentiel au charme du jeu. Fidèle aux racines de la licence, Syberia: The World Before nous présente donc un univers cohérent et réaliste bien qu’avec une certaine pointe de fantastique, même si cette dernière est moins importante que par le passé.
Pour servir cette aventure, le titre bénéficie d’une direction artistique et d’un design très agréables. Les graphismes sont clairement les plus aboutis de la série et la qualité visuelle du titre mérite d’être soulignée. L’ambiance de Vaghen est celle d’une ville aux allures d’un Paris des années folles, transportée dans une capitale d’Europe de l’Est. Avec son esthétique art-déco, la cité, tant dans les années 30 qu’au XXIème siècle, respire une certaine mélancolie slave qui rend parfaitement compte de l’histoire qui est ici narrée. Il est ainsi possible d’emprunter un tramway digne de celui de Prague depuis un arrêt typique du métropolitain francilien. Conduit par un automate Voralberg, on profite du voyage pour admirer l’urbanisme de la ville et les terrasses des bistrots typiquement parisiennes.
Les bâtiments, les décors urbains ainsi que les intérieurs sont pleinement réussis et franchement jolis. Le jeu use d’un maximum de plans fixes permettant un rendu avec beaucoup de détails, et il est appréciable de constater tout le travail réalisé pour nous immerger dans cette ville qui nous semble bien réelle. Un effort remarquable est mené sur la lumière et les reflets. La luminosité évoque un peu celle d’une fin de journée automnale et ensoleillée, rendant totalement compte de l’aspect nostalgique du titre. Nous découvrons aussi les montagnes environnantes, autre décor pour les aventures de Kate et Dana. Un cadre qui techniquement pèche un peu plus que celui de la ville. En effet, la végétation, les rochers, la neige sont moins bien rendus, notamment en mouvement, et il existe plus d’aliasing sur ces séquences. Les phases de mouvements comme celles du tramway ou celle avec un peu plus d’action s’exposent à plus de chutes de framerate.
Les visages sont globalement plutôt bien modélisés, notamment les sujets plus âgés, et contribuent à l’attachement aux personnages. Les aspects sonores et musicaux sont une grande force du titre. Tout comme le travail de la lumière, celui du sound-design concoure à nous faire vivre pleinement l’expérience de jeu : tempête de neige, marche sur panneaux métalliques, bruits assourdis selon l’ouverture des fenêtres sont tant de petits détails parfois oubliés mais tellement essentiels au vécu d’une aventure. Ils sont ici bien présents et bien réalisés ajoutant au réalisme de notre quête. Les doublages français sont très qualitatifs, avec des doubleuses et doubleurs dont les voix nous sont connues et le travail reconnu.
La musique est une nouvelle fois un point central, une habitude pour la franchise. L’hymne de Vaghen, ses diverses interprétations et ses déclinaisons nous accompagnent durant toute l’intrigue créant un véritable lien entre les différentes lignes temporelles. La bande-son nous fait vivre plusieurs moments d’émotion sur fond de Valse pure ou de Nocturne en Si majeur de Chopin. Toute cette atmosphère tant visuelle que musicale est en accord avec l’esprit mélancolique de la production.
Il persiste malheureusement une certaine rigidité dans le déplacement du personnage jouable qui peut parfois se coincer entre deux éléments de décor dont la profondeur est difficilement évaluable. Autres défauts dans le gameplay, il est parfois difficile de bien cliquer sur l’élément du décor pointé, et des ratés de caméra sont présents. Bien que ces aspects négatifs puissent parfois nous faire un peu sortir de nos gonds, ils n’empêchent pas notre bonne progression et restent somme toute assez marginaux. Enfin, aucun bug n’a été relevé durant l’entièreté de l’aventure qui a pris une douzaine d’heures.
Comme toute la licence, le titre est un point and click plutôt bien mené. Il est possible d’interagir avec des objets de décor signalés suffisamment discrètement à leur approche pour laisser les joueuses et joueurs un peu chercher leur chemin. Certains objets peuvent être gardés pour les étudier sous toutes les coutures puis savoir les utiliser au moment opportun. Incontestablement, l’originalité et l’innovation de cet épisode tournent autour de Dana et des différentes lignes temporelles. Non contents de nous proposer d’incarner l’un ou l’autre des personnages, les développeurs non proposent également de switcher manuellement de l’une à l’autre dans certaines phases de résolution de puzzles. Puzzles qui sont toujours au cœur du gameplay, en sus du pointer-cliquer. Ceux-ci sont assez variés, suffisamment nombreux, mais pas prépondérants, réalisables avec un peu de réflexion sans être ni capillotractés, ni enfantins. Si toutefois les dialogues permettent de choisir plusieurs réponses, il n’y a pas de conséquences sur le déroulement du scénario.
Si quelque énigmes ou puzzles viennent à poser problème aux joueuses et joueurs, une aide à type d’indice est disponible sous forme de plusieurs jauges qui requièrent un temps d’attente pour être activées. Il est nécessaire d’accomplir des objectifs principaux pour avancer dans l’histoire, et il existe également des objectifs secondaires que l’on peut accomplir, ou non. Si vous passez à côté de certains d’entre eux, pas de panique cependant, car il est possible à la fin du jeu de revenir aux différents chapitres pour accomplir les quêtes qui nous auraient échappées. Il n’y a donc pas de grand challenge dans la résolution de l’enquête menée par Kate. Que l’on soit connaisseur ou non de Syberia, le jeu est accessible à toutes et tous puisqu’il est possible de diffuser une cinématique résumant les événements des épisodes précédents.
+
- Globalement joli et bien réalisé techniquement
- Différentes lignes temporelles en interaction
- Univers fantastique et poétique
- Travail sonore de grande qualité
- Puzzles et énigmes interessants
-
- Rigidité dans les déplacements
- Quelques ratés de caméras
- Manque de précision à la manette
- Pas de réelles conséquences aux choix dans les dialogues