Dossier

28.07.2009 à 17h40 par |Source : Rédaction

Interview – Obsidian, Alpha Protocol

La semaine dernière, nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer Nathan Davis, employé chez Obsidian, à l'occasion d'une longue présentation du nouveau RPG du studio, Alpha Protocol. Un entretien prolongé nous a permis de discuter avec Nathan du jeu en lui-même bien entendu, mais aussi de la vision narrative d'Obsidian, de l'influence du célèbre Chris Avellone sur le développement et de plusieurs autres sujets non-moins passionnants.


Nathan Davis est arrivé chez Obsidian il y a quelques années. Il a d’abord participé au développement de NeverWinter Nights 2 : Mask of the Betrayer (la première extension du jeu) puis a intégré l’équipe en charge d’Alpha Protocol au sein de laquelle il occupe le poste de Programming Producer. Il avait auparavant travaillé dans l’industrie du film à Hollywood.

Rendez-vous demain pour une preview détaillée du jeu.




Xbox-Mag – Quand on développe un jeu comme Alpha Protocol, quelle est la chose la plus importante selon vous : avoir un bon scénario, un bon gameplay, de bons visuels ?

Nathan Davis – Je dirais un peu bêtement que tout est important (rires). Mais je pense qu’il est intéressant de faire en sorte que l’histoire marche le mieux possible avec le gameplay. Avec quelqu’un comme Chris Avellone, qui s’est chargé de la majorité de l’écriture sur Alpha Protocol, c’est intéressant parce qu’il est capable de prendre les éléments de gameplay que nous avons mis en place et de construire l’histoire du jeu à partir de cela. Donc je ne pense pas qu’il y ait des compromis à faire entre histoire et gameplay, nous devons juste essayer de les faire fusionner. En tant que développeurs, nous devons d’abord nous demander si le jeu est fun, à partir de l’élément gameplay, et construire autour de ça.

XM – Vous parlez de Chris Avellone, qui est lead designer sur Alpha Protocol…

ND – Effectivement oui, et c’est aussi l’un des fondateurs d’Obsidian.

XM – Il a une sacrée réputation dans l’industrie…

ND – Méritée !

XM - … Avec des jeux comme Knights of the Old Republic 2 ou encore Planescape Torment. Pourriez-vous nous décrire ce que ça fait de travailler avec quelqu’un comme lui ?

ND – C’est super, parce qu’avec l’expérience qu’il a, il apporte beaucoup de choses. En fait il est très bon quand il s’agit de diriger les designers, de leur donner de l’autonomie. Sur une mission donnée, prenons Taipei par exemple, il charge un designer de s’occuper de cette zone en particulier. Ce dernier doit alors faire en sorte d’assembler la mission avec l’histoire générale du jeu d’une façon qui soit logique, pour que les phases de gameplay soient idéales. Et la force de Chris Avellone, c’est de prendre ce travail et de très bien l’intégrer au sein du jeu pour créer une œuvre d’ensemble. Il y a ses qualités de scénariste aussi… Avec lui, on n’a pas du tout à se soucier de savoir si l’aspect narratif sera bon, on se dit : « Ok, il s’en occupe, ce sera parfait » (rires). Mais comme je l’expliquais, ce n’est pas uniquement un bon scénariste, il dirige aussi très bien les membres de son équipe.



Chris Avellone, sommité du RPG occidental. D’après Davis, sa réputationn’est pas

seulement due à ses talents de scénariste.

XM – Pour moi, faire un RPG basé sur l’espionnage et le monde actuel est une très bonne idée. Pourquoi si peu de jeux de rôles tentent-ils d’explorer de nouvelles voies comme vous le faites ?

ND – Je pense que c’est piégeux. C’est dur. Le genre fonctionne de cette façon pour une raison. Dans un RPG, il est très simple d’expliquer pourquoi quelqu’un devient très puissant au fil de l’aventure si la magie est présente. Ou vous pouvez être surhumain, ou acquérir toute une technologie futuriste qui vous rend toujours plus fort. Faire un jeu dans un monde réaliste génère un grand nombre de défis assez uniques, parce qu’il faut pouvoir garder un univers qui soit cohérent et en même temps pouvoir offrir cette évolution du personnage qui devient de plus en plus puissant. C’est quelque chose que nous avons beaucoup dû étudier pour arriver au résultat que nous avons aujourd’hui. Dans un jeu classique, il y a un schéma assez simple à suivre : si vous avez un guerrier, un sorcier et un voleur, vous avez votre jeu. C’est très simple. Nous, nous avons dû chercher comment cela pouvait être adapté de façon à ce que le jeu ait du sens.

XM – Il y a toujours eu une bonne relation entre Obsidian et Bioware, et je trouve que c’est assez amusant parce qu’Alpha Protocol et Mass Effect sont deux licences originales provenant des deux studios, et qu’ils partagent beaucoup d’idées de design. Mass Effect a été une inspiration pour vous ?

ND – En réalité nous avons commencé le développement d’Alpha Protocol avant que Mass Effect ne sorte, donc il n’a pas vraiment eu d’influence sur nous. Je pense que Bioware et nous avons regardé quelle était l’évolution naturelle du jeu de rôles et que nous sommes arrivés à des conclusions assez proches. Ca ne nous dérange pas d’être comparés à Mass Effect, parce que nous l’aimons, c’est un bon jeu, mais sur Alpha Protocol nous avons vraiment tout développé seuls. Nous avions les mêmes idées sans le savoir. C’est assez intéressant parce que quand Mass Effect est sorti, nous nous sommes dit : « Oh man ! (sic) Alpha Protocol ressemble vraiment à Mass Effect. Noooon ! » (Rires). Mais après réflexion, ce n’est pas une mauvaise comparaison du tout, c’est un bon jeu, nous l’acceptons. Et puis il y a des différences…

XM – Je pensais en fait, en prenant en compte la relation très proche qu’Obsidian et Bioware entretiennent, que vous auriez éventuellement pu échanger des idées ou quelque chose de ce genre.

ND – Oui. Mais non ! Quand il s’agit de nouvelles licences, vous n’êtes pas vraiment autorisé à partager vos idées avec une autre compagnie. Donc les concepts d’Alpha Protocol viennent à 100% de nous. Je pense que quand les gens pourront jouer au jeu, ils verront qu’il y a beaucoup de différences dans la manière dont nous faisons les choses.

XM – Justement, comme on parle de Bioware, les fondateurs du studio ont récemment dit qu’ils envisageaient de faire des jeux sans combat, uniquement basés sur l’exploration et le dialogue. Est-ce que ce genre de projet pourrait intéresser Obsidian ?

ND – Vous savez, chez Obsidian, nous aimons… Tout ce que nous faisons reste dans le domaine du jeu de rôles. Un point important à retenir est que nous sommes indépendants et que nous devons par conséquent convaincre des éditeurs de nous publier. C’est quelque chose que nous sommes obligés de prendre en compte. Bioware fait partie d’un grand groupe et il leur suffit d’avoir un accord d’en-haut. Nous, nous devons travailler avec des éditeurs spécifiques, Sega en l’occurrence avec Alpha Protocol. Il y a beaucoup de facteurs dont nous dépendons, et il nous est donc difficile de dire exactement ce que nous allons faire dans le futur. Y compris en ce qui concerne un type de jeu sans aucun combat. Mais je n’écarte pas cette possibilité…

XM – Pensez-vous que cela pourrait être une bonne idée pour de futurs jeux ?

ND – (Il hésite) Je ne sais pas ! Si vous voulez mon opinion personnelle là-dessus, ça me fait un peu revenir à mes premières expériences de jeu de rôles papier. Parfois, on fait une partie où il n’y a aucun combat, on se concentre sur l’histoire, les discussions entre joueurs, ce genre de choses. Et c’est bien. Mais si ça devait arriver à chaque partie, du moins pour moi, ça ne marcherait pas aussi bien. On finirait par juste parler, papoter, se disputer, etc. et je peux faire ça dans la vraie vie ! (rires) Pour moi, il faut qu’il y ait de l’action sous une certaine forme. Pas nécessairement du combat, mais il faut que quelque chose soit en jeu, qu’il y ait un danger, quelque chose qui soit excitant et qui vous fasse sortir de votre vie de tous les jours. Donc quand j’étais maître de jeu, je faisais en sorte que quelque chose se passe, qu’il y ait toujours un élément qui fasse bouger la partie, que les joueurs sentent qu’ils sont mortels. Donc je me pose un peu des questions sur un jeu qui ne proposerait aucun combat, mais après tout, s’il est bien réalisé, pourquoi pas.

XM – En fait, certaines personnes disent que les jeux vidéo doivent évoluer, doivent passer un cap, et que mettre le combat de côté, ne plus tuer personne et se concentrer sur les interactions entre personnages serait un moyen d’y parvenir.

ND – Oui… Je pense que ça serait intéressant, et j’imagine que c’est une voie qu’il faut explorer, pour faire évoluer le jeu vidéo. Pour moi, en tant que créateur de jeux de rôles, la formule de l’action-RPG, qui, si vous réfléchissez, remonte assez loin, aux années Baldur’s Gate, proposait déjà du combat, donc…

XM – Vous pensez que la formule marche bien telle qu’elle est en somme.

ND – Tout à fait. J’adorerais essayer d’autre types de choses, mais à un moment, il faut savoir remonter aux sources et coller aux bases du genre.



XM – Obsidian a toujours mis l’accent sur les histoires et les personnages dans ses jeux. Pensez-vous que mettre cet accent est important aujourd’hui, et à votre avis, est-ce que l’industrie du jeu vidéo fait les choses de la bonne façon en matière de narration ?

ND – Clairement, pour Obsidian, ce dont vous parlez est très important. Les histoires sont un peu la pierre angulaire qui fait de nous ce que nous sommes, en tant que compagnie, et qui définit notre travail. Je pense qu’il y a énormément de possibilités offertes par la narration interactive. Nous avons eu l’opportunité d’expérimenter beaucoup de choses dans ce domaine avec Alpha Protocol. En ce qui concerne les autres jeux, honnêtement, ça dépend des cas. Il y a des jeux comme Bioshock qui ont un scénario génial, mais les jeux vidéo sont toujours dans leurs… vingt premières années et quelques en tant que medium structuré, et par conséquent je pense qu’il y a encore beaucoup d’ajustements à faire. Comme je vous l’ai dit j’ai travaillé à Hollywood avant de rejoindre Obsidian, j’ai été étudiant en cinéma autrefois…

XM – J’imagine que vous avez une bonne position pour comparer cinéma et jeu vidéo, et voir les différences entre les deux medias.

ND – Oui. Il y a beaucoup de choses que les films, les séries télés, etc. ont appris… Ont appris en se plantant (Rires) au fil de leur évolution, pour dire les choses comme elles sont. Et je pense que tout médium évolue, avec des nouvelles idées… Mais il y a beaucoup de choses qu’ils ont comprises qui restent encore à faire dans le jeu vidéo. Les jeux vidéo sont toujours en train d’apprendre ces choses-là, comme par exemple la façon, la méthode à employer pour raconter une histoire. Je pense qu’il y a beaucoup de domaines à explorer dans le jeu vidéo, et j’attends impatiemment que ce soit fait. Je suis vraiment content d’être membre d’une compagnie et de faire un jeu qui essayent de pousser tout ça vers l’avant.



Oh… James ! Euh… Michael !


XM – Justement, comme nous parlons de narration dans le jeu vidéo, de plus en plus de designers, spécialement les développeurs indépendants, disent que la façon idéale de raconter une histoire dans un jeu vidéo est de la conter avec le gameplay lui-même. Pas de cut-scene donc, ou n’importe quoi d’autre qui ne soit pas jouable. Qu’en pensez-vous ?

ND – Je pense que faire de l’histoire une partie intégrante du gameplay est une bonne chose. Comme je l’ai dit auparavant, lier gameplay et histoire est très important. Dans Alpha Protocol par exemple, nous utilisons notre système de dialogue pour éviter d’avoir une cut-scene non-interactive. C’est en fait un vrai mini-jeu basé sur le dialogue. Vous avez un temps limité pour répondre, vous devez regarder ce que vous voulez répondre, quelle est votre meilleure option. Je pense que dans la plupart des jeux de rôles, avec ou sans cut-scenes, vous avez ces options de dialogue qui sont un jeu en elles-mêmes et qui sont un moyen de changer les choses, d’influer sur la partie que vous jouez.

Néanmoins je pense qu’il y a une place pour les cut-scenes, qui permettent de faire certaines choses que vous ne pouvez tout simplement pas faire in-engine, comme montrer des actions qui sont très importantes pour que le joueur comprenne certaines choses. Vous êtes dans un jeu de science-fiction par exemple, et une planète explose. Vous ne pouvez pas vraiment le montrer ingame. Vous devez utiliser une cut-scene.

Je ne suis donc pas d’accord pour dire que les cut-scenes ne servent à rien dans le jeu vidéo. Encore une fois, quand vous revenez à ce qu’on fait les films, les séries, les livres, il y a eu une compréhension de la nécessité de parfois montrer autre chose, de changer de style, tout simplement parce que ça aide l’histoire, ça aide l’œuvre dans son ensemble. Et donc il n’y a pas de raison de s’en priver en jeu vidéo.

XM – Y a-t-il des jeux parus récemment qui vous ont particulièrement plu au niveau de leur structure narrative, ou du lien entre narration et gameplay ?

ND – C’est dur à dire, parce que j’ai rejoint Obsidian justement pour faire progresser tout ça. (Il réfléchit) Il y a certaines choses évidentes, comme l’histoire de Portal, ou celle de Bioshock, qui sont bien racontées y compris au sein du gameplay. Il y a aussi beaucoup d’histoires intéressantes dans Fallout 3 (je dis beaucoup parce que c’est difficile d’en isoler une seule dans ce jeu). Mais il faut vraiment séparer les jeux à mondes ouverts des jeux comme Portal où il y a juste une histoire qui est racontée linéairement. Ils doivent être pris différemment parce que les jeux ouverts doivent prendre en compte des paramètres qu’un jeu comme Portal n’a pas besoin de gérer. Et je pense que Fallout 3 y arrive plutôt bien, j’ai beaucoup aimé. J’ai aussi beaucoup apprécié Fable 2, mais dans celui-là en particulier j’ai surtout beaucoup aimé les combats et la façon dont le monde fonctionnait. L’histoire était un peu plus un bonus dans ce cas précis.



Pour Obsidian, transformer les dialogues en mini-jeux permet de lier étroitement histoire et gameplay.


XM – Dernière question : si vous deviez me donner l’atout principal d’Alpha Protocol, ce serait… ?

ND – L’atout principal d’Alpha Protocol est sa réactivité. Au cours du développement, quand nous avons commencé à discuter des choses que nous voulions faire, nous nous demandions sans cesse : « Ah, si on fait telle chose avec ce personnage, que va-t-il arriver ? Et si on fait telle chose avec ce second personnage, qu’arrivera-t-il ensuite ? » Nous étions dans cet état d’esprit, nous avions beaucoup d’idées qui arrivaient et nous disions un peu oui à tout. Et quand je regardais la liste de tout ce que nous voulions inclure, je me disais « Holy crap ! (sic) (Rires) Est-ce que le jeu va vraiment avoir ce niveau de réactivité ? » parce que je n’avais pas encore vu tous ces éléments inclus dans le jeu final à part deux ou trois moments-clé. Et aujourd’hui c’est ce qui m’étonne le plus quand je joue à Alpha Protocol : le jeu réagit vraiment à tous ces éléments, et je ne m’y attends toujours pas. C’est ça, définitivement, sa principale force.

Rendez-vous demain pour une preview détaillée d’Alpha Protocol sur Xbox-Mag.

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