Xbox-Mag : Entretien exceptionnel avec Peter Molyneux
Peter Molyneux – Alors, jusqu’où êtes-vous arrivé ?
Xbox-Mag – Ce n’est pas Oakvale, c’est…
Peter Molyneux – Oakfield.
Xbox-Mag – Voilà ! C’est un niveau vraiment magnifique, avec toutes ces fleurs, les champs, la plage, la mer… La réalisation artistique est impressionnante.
Peter Molyneux – (Malicieux) Je crois que cette zone est ma… septième région préférée du jeu.
Xbox-Mag – (Rires) Ah bon, vraiment ?
Peter Molyneux – C’est un endroit qui est plus beau en automne, avec les feuilles qui tombent des arbres, les champs dégagés… Oui, je trouve que c’est un peu plus beau en automne. Il y a quelques maisons qui sont construites pendant les vingt premières années de l’aventure, donc la zone devient un peu plus habitée, au départ c’est un peu perdu quand même…
Vous devez être juste au moment où vous commencez à devenir célèbre, non ?
Xbox-Mag – Oui, oui. Certaines personnes commencent à me reconnaître.
Peter Molyneux – On vous a déjà demandé un autographe ?
Xbox-Mag – (Rires) Pas encore, non.
Peter Molyneux – Vous vous êtes marié ? Vous vous êtes fait des amis ?
Xbox-Mag – Des amis oui, mais pas encore d’épouse ou de mari. J’ai essayé de créer deux héros, un de chaque sexe, mais je ne suis pas encore assez avancé avec eux.
Peter Molyneux – Très bien.
Xbox-Mag - Visiblement, vous êtes très fier de Fable 2. Est-ce que ça signifie que, contrairement à ce qui s’était passé avec Fable 1, vous avez réussi à matérialiser tout ce que vous aviez imaginé au début du développement du titre ?
Peter Molyneux – (Il réfléchit) Non, je pense… Fable 1, pour moi, est un jeu très important dans ma carrière, parce qu’il m’a fait comprendre que j’avais encore beaucoup de choses à apprendre en tant que designer. J’étais réellement obsédé par les composantes du titre, et j’en oubliais de considérer ce que le joueur ressentirait en y jouant. Donc, après Fable 1, je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne à être un vrai designer.
La première chose que je me suis dite, c’est qu’il nous fallait une vraie histoire, qui mettrait en valeur ce qu’on ressent plutôt que de simples mécaniques de jeu. Donc oui, de ce point de vue-ci, je suis très content. Je pense que Fable est… (Il hésite) quelque chose d’assez incroyable. Je veux dire… Je ne dis pas que le jeu est parfait, il a ses défauts : la navigation a parfois des ratés, l’animation faciale, la synchronisation des lèvres pourraient vraiment être meilleures… Ce sont des limites techniques que nous avons, mais, vous savez, si vous finissez Fable 2, vous comprendrez pourquoi je dis que c’est une expérience unique. Je n’ai jamais joué à un jeu comme ça, et toute l’équipe de Lionhead est de cet avis.
Xbox-Mag – Beaucoup de gens disent que Fable est davantage un jeu d’action-aventure plutôt qu’un vrai jeu de rôles. Qu’en pensez-vous ?
Peter Molyneux – Ce sont toujours les personnes du marketing qui me demandent de dire que Fable est un RPG, mais je n’ai jamais vraiment voulu lui accoler ce genre. Je pense que c’est un jeu avec un peu de RPG, un peu d’action, un peu d’aventure, un peu de simulation. Je veux dire, vous pouvez jouer à ce jeu pendant des heures en ne faisant que décorer des maisons, vous faire des amis, vous marier, tisser des relations… C’est un jeu de relations entre personnes, c’est une espèce de MMO solo. Ce sont tous ces éléments à la fois, donc se limiter au terme RPG… Je ne suis pas certain que ce soit vraiment très adapté.
Ce que Fable n’est pas, et je l’admets volontiers aujourd’hui, c’est un jeu de rôles traditionnel. Il n’y a pas toutes ces compétences de force, de dextérité, nous ne vous proposons pas cette variété. Ces éléments existent dans le jeu, dans des formes plus sommaires, si vous voulez vraiment vous y intéresser vous le pouvez, mais vous savez, notre leitmotiv était avant tout de dire : « Nous voulons que vous ayez l’impression d’être un héros. Un héros unique. ». Et le genre de jeu qui s’adaptait le mieux à ce cahier des charges était tout simplement le RPG.
Xbox-Mag – Il y a un choix de design spécifique dans Fable 2 que je trouve très intéressant : on ne meurt pas. Il n’y a pas de game over.
Peter Molyneux – Non, effectivement.
Xbox-Mag – C’est une composante assez populaire actuellement. Je ne sais pas si vous connaissez Braid sur le Xbox Live Arcade, ou encore le prochain Prince of Persia d’Ubisoft. Ce sont des jeux où vous ne mourez jamais non plus. C’est quelque chose qui n’existait pas il y a une quinzaine d’années : vous perdiez la partie et vous deviez recommencer un niveau, voire le jeu en entier.
Peter Molyneux – Absolument. Comme je voyage beaucoup, je joue à Zelda Phantom Hourglass [NDLR : sur Nintendo DS], et quand vous mourez dans ce jeu, vous vous dites : « Oh mon Dieu, je vais devoir refaire ce donjon en entier ?!? ». GTA IV ! J’ai arrêté de jouer à GTA IV à cause du nombre de fois où je mourais. C’est en réalité une vraie réalisation de designer. C’est ce que je vous disais il y a une minute : ce qui importe, ce ne sont pas les règles que nous pensons être les bonnes dans l’industrie du jeu vidéo. Ce qui est important, c’est votre expérience de jeu. Et il faut savoir si la mort, la défaite, sont des notions qui sont compatibles avec les mondes que l’on crée.
L’introduction du concept de mort dans les jeux vidéo… Et là je reviens vraiment aux origines, c’est-à-dire aux jeux d’arcade. En réalité ce concept a été inventé pour deux raisons. La première était que, sur les machines d’arcade, les parties se devaient de ne pas excéder, grosso modo, le quart d’heure de jeu. La seconde était destinée à servir ce qu’on appelle la « muscle memory », c’est-à-dire le fait de devoir recommencer encore et encore une phase de jeu pour la comprendre et la réussir. Mais ça n’existe plus maintenant. Nous ne faisons plus de jeux comme ça aujourd’hui. Alors pourquoi ne pas essayer d’aller ébranler ces conceptions immuables telles que la mort ?
Dans Fable – à ce titre, je trouve que ce que fait Braid avec la mort est très intéressant – même si vous venez de vous effondrer à terre, vous revenez immédiatement dans la partie et vous vous dites : « Eh merde ! Je suis mort ! ». Vous êtes toujours agacé par le fait d’être mort, et la façon dont nous mettons cette impression en exergue, c’est que, comme vous vous en êtes rendu compte en jouant, l’expérience que vous accumulez au cours du jeu est très importante. C’est une impression formidable de collecter toute cette expérience. Vous commencez à combattre un boss, réussissez progressivement à l’affaiblir et voyez 3.000, 4.000, 5.000, 8.000, 16.000 points d’expérience tomber au sol. Mais la barre de vie ne se recharge pas pour autant et si vous mourez, toute cette expérience est perdue. Et c’est ça que je veux que vous ressentiez. Je veux que vous sentiez cette excitation. Et, pour moi, c’est quelque chose qui s’est avéré avoir beaucoup plus d’impact qu’un simple game over.
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Xbox-Mag - Vos jeux ont toujours tourné autour d’expériences riches dans de vastes mondes interactifs. D’autres titres sont beaucoup plus linéaires, cinématiques. Je pense à Gears of War ou Metal Gear Solid par exemple. Est-ce que vous pensez que votre méthode est la bonne, ou que le jeu vidéo peut s’épanouir à travers ces deux modes de conception ?
Peter Molyneux – Je ne pense pas qu’il y ait une bonne ou une mauvaise façon de faire. C’est un avis personnel : je n’aime pas les histoires qu’on vous sert toutes faites. Je suis quelqu’un de très impatient. Dans Fable, je voulais vraiment raconter l’histoire pendant que les gens jouaient, et éviter le découpage jeu, puis histoire, puis jeu, etc. Il y a vraiment une interpénétration entre la construction de son personnage et la progression dans l’histoire.
Le revers de la médaille, c’est qu’avec ce fonctionnement, vous perdez obligatoirement ces fantastiques cut-scenes à la Metal Gear Solid – et elles le sont vraiment, fantastiques, dans Metal Gear ce sont de vraies œuvres d’art. Le bon côté, c’est qu’avec notre système, vous restez au cœur du monde dans lequel vous jouez. Et je pense que c’est ce que nous essayons de faire avec Fable. Nous essayons de vous faire sentir que vous êtes dans le monde que nous avons créé, et que ce monde devient le vôtre, et que vous êtes son héros. Et quand on a ces cut-scenes, c’est un peu comme se dire « Ah, je regarde un James Bond. Ah, je regarde un film de Science-Fiction », et dans ce cas ce n’est plus moi qui suis dans le jeu, c’est moi le spectateur. Mais vraiment, je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un qui ait raison ou quelqu’un qui ait tort dans ce cas, ce sont vraiment différentes conceptions du medium, différentes façons de procéder.
Xbox-Mag – J’aimerais que vous nous parliez de votre relation avec Microsoft. Vous avez toujours l’air très enthousiaste quand le sujet est abordé, mais certains studios ou développeurs, comme Bungie par exemple, n’ont pas semblé trouver un grand épanouissement dans une situation similaire à la vôtre. Comment l’expliqueriez-vous ?
Peter Molyneux – Eh bien, je pense que cela à beaucoup à voir avec les erreurs que j’ai faites auparavant, quand j’ai vendu mon ancienne compagnie [NDLR : Bullfrog, fondé en 1987, racheté par EA en 1995] à Electronic Arts. Je n’avais pas vraiment réalisé ce qu’Electronic Arts attendait de moi, je suis devenu très irritable, renfrogné, et ça c’est mal passé [Molyneux quitte le studio deux ans après le rachat et fonde Lionhead. Bullfrog, vidé de ses têtes pensantes, sera fermé par EA en 2004]. Et en intégrant Microsoft…
En fait, je me suis dit : «Je veux être créatif. Je veux travailler sur des projets incroyables. Comment puis-je matérialiser ces ambitions ? » Et donc la première chose que j’ai dite, quand nous nous sommes rassemblés chez Lionhead pour décider comment nous allions procéder, c’est que nous serions le studio le plus professionnel de Microsoft Game Studios. Et en décidant cela, nous pourrions faire les choses que nous voudrions. En étant professionnels, en ayant de bonnes relations de travail, en étant accueillants, en choisissant d’apprécier les gens de Microsoft plutôt que de s’en méfier, nous nous sommes ouvert des portes.
Alors oui, je sais que je fais très peur aux gens de Microsoft. Je sais que, derrière mon dos, ils murmurent des choses du genre : « Mais quel autre secret de Lionhead va-t-il révéler maintenant ? » (Rires) D’ailleurs vous aurez remarqué que dans toutes mes interviews, il y a toujours quelqu’un d’autre dans la pièce, parce qu’ils sont terrifiés à l’idée que je puisse dire quelque chose d’irréparable. Mais vous savez, tant que nous aurons ce respect, tant que je pourrai leur dire : « Je sais que je dépense votre argent, mais rendez-vous compte que je le dépense pour les bonnes raisons, et que la qualité suit », je pense que la relation sera fantastique, et elle l’est. Ils nous écoutent, et ils nous témoignent du respect, comme nous en témoignons à leur égard.
Ca ne veut pas dire que Bungie n’a pas fait comme nous, mais pour moi, un studio de développement, qu’il soit indépendant ou fasse partie d’une compagnie, qu’il soit complètement ou partiellement possédé, doit réaliser qu’il faut travailler en équipe. Le marketing, les testeurs… Ce sont des gens dont vous avez besoin, vous ne pouvez pas sortir votre jeu sans eux. Et si vous ne les traitez pas avec respect, forcément, ça ne peut pas marcher.
[L’attachée de presse nous fait signe que notre temps avec Peter est écoulé]
Xbox-Mag – Rapidement, une dernière question. Il y a déjà eu quelques discussions à propos des prochains Fable, ou de l’autre projet que vous développez parallèlement à Fable 2. Simplement : verrons-nous, quel qu’il soit, le prochain titre de Lionhead sur Xbox 360 ?
Peter Molyneux – Pour être très honnête avec vous, je ne pourrais vraiment pas me prononcer de façon certaine là-dessus. La seule chose que je peux vous dire, c’est que nous expérimentons des choses, des choses vraiment très prometteuses. Lionhead travaille sur plus d’un projet en ce moment. Je ne m’aventurerai pas à vous donner des dates ou d’autres infos de ce genre, ce serait vraiment trop s’avancer.
Peter Molyneux, plus confiant que jamais à l’approche de la sortie de Fable 2