Chronique XM #2 : GTA IV, la polémique et les médias
Presque un mois après sa sortie, GTA IV continue de faire débat, comme ce lundi, sur le plateau deCe soir ou Jamais, l’émission culturelle de Frédéric Taddéi dont le point de départ était prometteur, mais qui n’a malheureusement, comme plusieurs autres, pas su rester très longtemps en dehors de la polémique, bien que cette dernièreait été abordée en des termes plus savants que sur d’autres chaînes. Une grande partie de la presse a en effet couvert l’événement GTA IV, et ce de façon plus ou moins bien menée. Comme souvent, ce sont les mauvais exemples qui ont le plus circulé sur le net.
La mauvaise réaction serait d’immédiatement se braquer et dénoncer la méconnaissance de l’ensemble de la presse généraliste à propos des jeux vidéo en général et de GTA en particulier. Un rapide tour d’horizon des articles traitant de la parution du quatrième opus moderne de la série de Rockstar North montre que les réactions ne sont pas toutes négatives. Certaines rédactions ont compris que le jeu vidéo pouvait (et devait) être traité comme n’importe quel autre produit culturel. Libération par exemple, qui a placé le jeu à la Une de son édition du 26 avril et a décrypté le phénomène d’une façon tout à fait respectable. Ce n’est pas surprenant si on lit régulièrement le journal, qui, contrairement à d’autres, a su s’ouvrir très largement au domaine vidéoludique, notamment par le biais du site Ecrans.fr, où officie, entre autres journalistes bien informés, Erwan Cario. Son podcast hebdomadaire, Silence on Joue, avec en guest-star Clément Apap, ex-rédacteur en chef de Gamekult, est l’un des seuls qui soient véritablement intéressants à écouter en France quand il s’agit de jeu vidéo, et ce n’est pas rien.
GTA IV à la Une de Libération
Sur le web, on trouve sur les sites de grandes chaînes, radios ou journaux nationaux des articles représentatifs de l’événement, qui ne recherchent pas le sensationnalisme. Logique, dans la mesure où les journalistes du net sont globalement plus ouverts aux nouvelles technologies, et donc plus à même de les comprendre. Ce sont aussi eux qui sont le plus aisément au contact des amateurs de jeux vidéo, très présents sur la toile.
Parmi ces critiques, citons celles du site d’Europe 1 ou de France Info, qui, c’est important, n’éludent pas le côté polémique du titre de Rockstar, mais procèdent d’abord à la critique d’un produit culturel, sans arrière-pensée d’aucune sorte. "GTA 4 n’est donc certainement pas à mettre entre toutes les mains mais s’impose néanmoins comme un "grand" jeu vidéo", conclut Jérôme Colombain de France Info.
On peut citer par ailleurs les journaux gratuits Métro, 20 Minutes ou encore Direct Soir qui ont tous proposé des tests de GTA IV somme toute corrects, même si les prétendus dangers liés au jeu continuent d’être abordés, de façon plus ou moins contestable, par ailleurs.
Qui participe à la chasse aux sorcières alors ? Des journaux, certes, comme Le Parisien, mais les exemples se trouvent plus aisément en dehors de la presse écrite. A la radio par exemple, où RTL, à plusieurs reprises, ne met en avant que l’aspect ultra-violent du titre, sans l’envisager sous un autre angle que celui du scandale et du danger pour les jeunes.
Les Grandes Gueules, sur RMC, centrent également le débat sur la polémique et la violence, même si la discussion est ouverte et ce qui en ressort n’est pas réellement négatif en soi, grâce à la présence de Jean-Claude Larue du S.E.L.L. (Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs).
« Je pense que c’est un phénomène de société qui est très grave. [...] Je suis aussi inquiète qu’il y ait des adultes qui aient envie de jouer [...].Je trouve ça terrifiant d’avoir envie de tuer, de drogues… »- Sophie de Menthon, RMC
France Inter, dans J’ai mes Sources, illustre encore mieux le décalage entre les journalistes pas extrêmement bien informés (les présentateurs Colombe Schneck et Patrick Cohen) et les spécialistes (les invités Erwan Higuinen, des Inrockuptibles, et le duo Erwan Cario/Clément Apap, dont nous avons parlé plus haut). Mais au moins, à chaque fois, des personnes informées permettent de porter les débats sur des bases saines. Au demeurant, les exemples de journalistes de jeu vidéo invités sur des plateaux pour discuter de GTA ne manquent pas, ce qui tend à démontrer que la profession est de mieux en mieux considérée par la presse généraliste, et c’est évidemment un progrès.
Web, journaux, radio rapidement passés en revue, il reste la télévision. C’est sur le petit écran – comme c’est surprenant – que GTA IV a reçu l’accueil le plus sujet à controverse. France 2 (vieille connaissance de Xbox-Mag), par exemple, dans un reportage qu’on peut qualifier d’orienté, préfère mettre en avant l’analyse bas du front d’un gestionnaire de boutique et le commentaire forcément inquiétant du sempiternel psychiatre plutôt que de réellement chercher à savoir ce qu’est GTA IV.
« En l’espace de quelques jours, ce jeu devrait devenir leproduit culturel ou sous-culturelle plus vendu dans le monde. »- Michel Denisot
Sur Canal+, c’est la désormais célèbre séquence du Grand Journal, présidée par un MichelDenisot particulièrement méprisant, qui fait réagir, à commencer par Gameblog qui a répliqué par une lettre destinée au présentateur. Il n’est pas certain qu’il la lise, entre deux interviews de stars à Cannes.
LCI s’est aussi illustré en proposant un reportage pas forcément mauvais, mais en l’encadrant par des commentaires dénotant une fois de plus un manque de connaissance plutôt confondant. "Erreur" réparée dans l’émission de médiation LCI est à vous (à l’audience sans doute inférieure à celle du journal, mais qu’importe), avec, une nouvelle fois, une mobilisation de Gameblog, suite à un sondage à la tendance renversée grâce aux communautés de plusieurs gros sites spécialisés.
Gameblog répond à Michel Denisot après un Grand Journal à l’odeur de soufre
Mais les médias se sont aussi fait l’écho des déclarations de Nadine Morano, secrétaire d’Etat chargée de la Famille, qui a décrit GTA IV comme un jeu"violent","amoral" et"potentiellement addictif", et en a appelé à la "vigilance parentale". Familles de France a emboîté le pas.Quelque peu alarmiste, cet avertissement n’est pas non plus scandaleux en soi. La classe politique, que ce soit en France ou aux Etats-Unis (Barack Obamaa mis en garde les parents à propos de GTA IV, tandis qu’Hillary Clinton s’oppose à la commercialisation libre de la série depuis des années) même si elle n’emploie pas forcément la meilleure méthode, n’a pas tort quand elle prend position pour éviter que les mineurs jouent à GTA IV. Le jeu, dans sa violence, mais aussi dans sa satire, dans la psychologie de ses protagonistes, ne peut pas être correctement compris par les plus jeunes.
Le cœur de la polémique réside d’ailleurs dans le fait que les adolescents et pré-adolescents jouent librement à GTA, quand bien même sa classification le réserve à un public exclusivement majeur. Aucune étude, aucune statistique ne peut vraiment montrer combien de jeunes de moins de 18 ans jouent au jeu de Rockstar, mais il y en a. Le problème semble concerner davantage, en réalité, l’impuissance de nombreux parents à contrôler les activités vidéoludiques de leurs enfants (la PS3 et la Xbox 360, dotées de très efficaces sécurités parentales, le permettent pourtant). Et, surtout, comprendre un milieu qu’ils connaissent beaucoup moins bien qu’eux.
Combien de parents se servent vraiment du contrôle parental de la Xbox360 ?
Ce contre quoi, en tant qu’amateur de jeu vidéo, il faut s’insurger, ce ne sont pas les avertissements de Nadine Morano. C’est plutôt le fait que la polémique, les avis de psys, la peur de la violence et du sexe passent avant, et parfois éludent complètement le traitement de la sortie de GTA IV dans ce qu’elle représente du point de vue culturel. Beaucoup de gens, journalistes y compris, font preuve d’une grande méconnaissance, d’une grande naïveté aussi, par rapport aux jeux vidéo, pour diverses raisons qu’il est assez aisé (et long) d’énumérer (gouffre générationnel, manque d’ouverture aux nouvelles technologies, notion de "jeu" qui n’aide pas à prendre le domaine vidéoludique au sérieux, idée que seuls les jeunes jouent aux jeux vidéo). Il n’est pas normal que le débat se concentre sur ce qui ne devrait être qu’une composante de la couverture médiatique de GTA IV. C’est ce qu’il faut combattre, que ce soit en se mobilisant sur le net ou en discutant du jeu (et des autres) avec ses proches.
« S’il faut rester dans une mouvance underground, quitte à être catalogué comme "diabolique", et bien qu’il en soit ainsi. »- Dan Houser, Rockstar
Dans cette affaire, il convient aussi de ne pas oublier Rockstar. Car la fameuse polémique que la presse spécialisée dénonce, le studio écossais la recherche, et c’est un des éléments importants à prendre en ligne de compte dans la compréhension du phénomène Grand Theft Auto.
Dans une interview accordée à Ecrans.fr, Dan Houser, figure de Rockstar et scénariste de GTA depuis le second épisode, parle de la place des jeux vidéo dans la société actuelle. "Les choses ont beaucoup changé depuis mes débuts il y a douze ans, explique-t-il, mais il reste toujours quelque chose de légèrement underground, un peu répréhensible [dans le fait de jouer à des jeux vidéo]. Ce qui m’inquiète vraiment, c’est que tout devienne très acceptable, comme tout le reste, quitte à en devenir fade. Les films deviennent maussades, la musique aussi. En France, je ne sais pas, mais aux Etats-Unis et en Angleterre… Il y a la télévision américaine qui vit un âge d’or mais, à part ça, il n’y a que les jeux vidéo qui connaissent une telle créativité florissante.
Le très discret mais très polémique Dan Houser,
co-auteur de l’intégralité du script de GTA IV
Je sais que ce sera également supplanté par quelque chose dont on n’a encore aucune idée. Mais pendant qu’il existe encore une chance d’exprimer notre créativité, s’il faut rester dans une mouvance underground, quitte à être catalogué comme « diabolique », et bien qu’il en soit ainsi. C’est davantage que de rester un rebelle, c’est juste vouloir rester libre. Et pas pour avoir notre photo dans le journal ou je ne sais quelle médaille. Que ce soit de l’art ou pas, beau ou laid, formidable ou épouvantable ou merdeux, c’est ce que nous faisons et nous faisons de notre mieux."
Un état d’esprit qui, finalement, montre que Rockstar recherche également cette polémique, qui sert à la fois les buts artistiques et financiers du développeur. Pour les personnes les plus scandalisées, la meilleure réaction serait donc, finalement, de ne rien dire ? Ce serait le comble.