Dossier > Wii, PS3, Xbox 360 : analyse des conférences E3
Kinection
Il ne faut pas se méprendre. La volonté d’embrasser un nouveau public n’est pas une nouveauté chez Microsoft. L’arrivée de Kinect n’est que l’aboutissement d’un processus lent, progressif, presque risible au début. A l’origine, le projet de la première Xbox, lancée en 2001, était porté, au sein même de Microsoft, par de vrais gamers, passionnés de jeux vidéos : Seamus Blackley par exemple, l’un de ceux qui ont convaincu le groupe américain de dépenser des milliards sans être sûr de les revoir. Ou bien Ed Fries, le directeur d’édition des premiers jours, qui préférait signer des projets originaux plutôt que des jeux plus rentables.
Peu à peu, avec la nécessité de réduire les coûts, la familiarisation de Microsoft avec un marché au départ inconnu, puis l’arrivée de la 360, les choses sont changé. Les leaders emblématiques sont partis les uns après les autres (J Allard et Robbie Bach sont les derniers en date). D’abord timide, avec quelques jeux plus anecdotiques qu’autre chose (qui se souvient encore de You’re in the Movies ?), l’envie d’élargir le champ d’action de la 360 est devenue une conviction pour les dirigeants de la marque. Avec la Wii, Nintendo a été pendant quatre ans le seul à exploiter un marché juteux, celui du jeu vidéo « accessible ». Le groupe nippon a surtout démontré que des produits peu complexes, au budget raisonnable, alliés à un mode de contrôle osant la simplicité pouvaient marcher, même auprès d’un public d’ordinaire insensible au jeu vidéo. C’est ce public que cible désormais Microsoft, et la conférence du 14 juin l’a montré, comme on le prévoyait.
Evidemment, comme personne n’avait prévu le succès de la petite console japonaise, difficile de reprocher à Microsoft (et Sony) de ne lui opposer une résistance adaptée que maintenant. Mais n’est-ce pas déjà trop tard ? La Wii elle-même commence à voir ses ventes décliner. Son image de marque est axée sur ses jeux occasionnels, image que Microsoft devra construire de toute pièce. Et comment installer Kinect dans les foyers, alors qu’aucun plan concret de commercialisation n’a été dévoilé pendant la conférence ? Décisif, le prix du périphérique n’a même pas été dévoilé. La rumeur veut qu’il s’annonce élevé, alors que la caméra-miracle devait être un plug-in abordable, transformant facilement la 360 en une « nouvelle » console.
Micro trop soft ?
S’il y a un point rassurant qui ressort des différentes annonces Kinect, c’est que la réalisation des jeux semble correcte. Microsoft n’a pas développé ses projets par-dessus la jambe, et s’est associé avec des partenaires (Harmonix, Ubisoft, LucasArts) visiblement désireux de soigner leurs premières créations. Néanmoins, la question de l’intérêt ludique de tous ces projets reste entière, et ne sera élucidée que quand ils seront disponibles. L’authenticité de plusieurs démos a été mise en doute, à juste titre quand on les visionne à nouveau : les mouvements des joueurs sur scène ne correspondent pas à ceux retranscrits à l’écran. Microsoft n’a donc pas osé utiliser ouvertement sa technologie, et quand on lit dans la presse que Kinect ne permet pas de jouer assis (!) ou engendre un temps de latence gênant sur la plupart des titres de lancement, on n’est pas rassuré.
Ce qui inquiète beaucoup de joueurs, c’est l’envergure prise soudainement par la division Kinect et l’absence de projets hardcore dans le planning de lancement de la caméra. Sur l’heure et demie de conférence, seule une grosse trentaine de minutes a paru réellement riche en jeux « classiques ». Hideo Kojima sur scène pour Metal Gear Solid Rising, comme l’année passée, Halo Reach, Gears of War 3, Fable 3… De gros projets, mais déjà tous connus. La seule surprise a été la nouvelle exclusivité en partenariat avec Crytek, et encore, car seul un aride teaser a été dévoilé. Et puis là-dessus, une heure, très lourde, de Kinect.
C’est le choc des cultures : un fabricant de consoles au public traditionnellement connaisseur se lance brutalement en sens inverse, et mène une conférence rappelant directement les pires années Wii. Une console que beaucoup de possesseurs de 360 ne se dérangent pas pour critiquer (il suffit de faire un tour sur les forums de Xbox-Mag pour le constater). La plupart des hardcore gamers ont encore beaucoup de mal à accepter la nouvelle vague des jeux occasionnels. Le mélange soudain des publics mettra sans doute un peu de temps à se faire. Avec, en peur sous-jacente, l’interrogation sur les priorités futures de Microsoft. Malgré les réserves de liquidités infinies du groupe, la division Entertainment and Devices a perdu trop d’argent depuis 2001. Les actionnaires sont frustrés, et Kinect est censé apporter à la 360 un souffle nouveau, susceptible d’éponger un peu plus vite des pertes astronomiques. Dans ce contexte, il est impossible de savoir si Redmond saura faire la part des choses et partager son budget entre jeux classiques et jeux Kinect ou choisira de se concentrer sur ces derniers, du moins pendant un temps pour s’imposer face au Move de la PS3.
La présence de davantage de projets gamer dans le line-up (ou même tout court) aurait sans doute aidé à faire passer la pilule, mais environ un an seulement après la distribution des kits de développement, il est sans doute encore un peu tôt pour voir si Kinect saura réellement trouver une application autre que celle qu’on a vue pendant la conférence.
Miyamoto, Kevin Butler et Coca Cola
Microsoft peut d’autant plus être critiqué que la concurrence n’est pas restée les mains dans les poches. Plutôt lente et peu rythmée, la conférence Nintendo a surtout valu par son contenu pur, avec énormément d’annonces intéressantes et beaucoup d’anciennes grandes licences de retour (Donkey Kong, Kirby, Kid Icarus, etc.). Le simple fait que le show, lancé sur de bonnes bases par Miyamoto et Zelda Skyward Sword, ait été beaucoup plus riche qu’on ne s’y attendait, lui a permis de dégager une impression bien supérieure à celle laissée par Microsoft et Sony. Même si, finalement, les démonstrations en direct n’étaient pas si passionnantes que cela et que certaines annonces attendues ont débouché sur du néant (où est passé le Wii Vitality Sensor ?). La 3DS promet beaucoup de jeux d’importance, et si Nintendo a plus annoncé que montré, la machine est déjà, visiblement, solidement en place. Porté par le trio terrible Miyamoto-Reggie Fils-Aime-Iwata, le leader du marché s’avance avec confiance vers le nouveau défi du jeu en trois dimensions.
La 3D, c’est aussi un des chevaux de bataille de Sony, un message martelé durant une conférence très classique et aux innombrables longueurs. Entre les vidéos promotionnelles, l’apparition plus ou moins drôle de Jerry Lambert alias Kevin Butler et les présentations de jeux déjà vus, le show du groupe japonais s’est étiré sur plus de deux heures. Pénible. Heureusement pour lui, et contrairement à ce qui s’était passé en 2009, le principal concurrent de Microsoft a mieux réussi l’introduction de sa technologie de détection de mouvements (Move) que Redmond : plus de jeux, plus de variété et une qualité de fabrication apparemment impeccable en font un concurrent de poids. Seul souci face à Nintendo : le prix d’accès, quand on compte tous les modules à acheter pour vivre l’expérience complète, risque de rapidement monter. Pour peu qu’on veuille acheter le kit de deux manettes (Move + « Nunchuk ») pour deux joueurs, on risque de se retrouver avec un tarif d’entrée peu ou prou équivalent à Kinect. Le duel promet, néanmoins Move dispose de deux gros avantages : il sort deux mois avant son adversaire et disposera de plus de jeux en fin d’année.
Sony a aussi confirmé que la PS3 avait définitivement trouvé son rythme de croisière en termes de sorties. Le line-up first et second party ne désemplit pas, avec Twisted Metal, inFamous 2, Little Big Planet 2, Killzone 3 et compagnie. Et encore, car certains des projets les plus intéressants à venir n’ont bizarrement pas été montrés (The Last Guardian, le nouveau Jenova Chen : Journey). Cette pluie de titres a presque fait oublier qu’un service payant a été introduit sur le PSN, une nouvelle à laquelle on s’attendait tant le manque à gagner online devenait grand pour le groupe japonais.
Ce qui a manqué à Sony, comme à Microsoft, ce sont les annonces, les nouveautés, quelque chose qu’on voit de moins en moins à l’E3. Symboliquement, la Nouvelle Xbox 360 aurait dû être le coup de théâtre de la conférence de Redmond, mais tout avait fuité sur internet. On connaissait jusqu’à l’apparence de la machine la veille.