Test : Call of Cthulhu sur Xbox One
Plutôt Kraken ou Paul le Poulpe ?
Nous sommes en 1924 et comme tout bon détective privé de l’époque Edward Pierce vit dans son bureau, stores baissés, documents éparpillés et bibine à portée de main. Les temps, comme les œufs, sont durs ; aussi lui est-il impossible d’envoyer paitre le vieil homme qui se présente alors à lui avec une mission. Sa fille, le mari de celle-ci et son petit-fils sont morts dans l’incendie de leur demeure, quelque part sur une petite ile au large de Boston que l’on nomme Darkwater. La thèse de l’accident ? Le riche industriel n’y croit pas et veut connaitre la vérité sur le destin tragique de sa fille, alors reconnue comme une artiste peintre de talent. La toile qu’il a par ailleurs tenu à présenter à Pierce est pour le moins… Glauque. Mais il y a quelque chose qui attire Pierce, quelque chose qui le pousse, au-delà de l’appel du banquier, à embarquer sur un petit chalutier, direction Darkwater. Sur cette ile qui fut prospère grâce à l’activité des baleiniers, on ne trouve plus grand-chose, ni plus grand monde. Pour autant, cela ne prévient pas Pierce d’un danger devenant chaque heure un peu plus grand, d’une réalité qui disparait peu à peu au profit d’un plongée jusqu’aux frontières de la folie.
Call of Cthulhu pose d’emblée les jalons d’une ambiance particulièrement prenante qu’il parvient à maintenir efficacement sur une bonne partie de l’aventure. Les débuts sont pesants, presque suffocants. On avance à tâtons sur cette ile où l’on a bien compris que l’on n’est pas franchement le bienvenu, on découvre au gré de quelques discussions et trouvailles écrites comment cette ile est passée de la lumière à l’ombre, emportant avec elle l’espoir d’une vie meilleure pour les quelques habitants qui n’ont eu vraiment d’autre choix que de rester. Plus tard, alors que Pierce concentre ses recherches sur la famille Hawkins, la réalité prend une perspective différente, l’enfer semble prendre possession de chaque centimètre carré de son esprit. Mais du début à la fin, qu’importent les conditions, Pierce fait essentiellement ce qu’il a à faire : enquêter.
C’est sur cet aspect que repose principalement le gameplay de Call of Cthulhu, au travers de dialogues et de l’observation de l’environnement. Le héros a la capacité le reconstituer dans son esprit les événements survenus en regardant de plus près certains éléments d’une scène. La possibilité de voir certaines choses ou, dans le cas des dialogues, exprimer plus précisément son point de vue dépend des capacités que l’on développe avec les points gagnés à l’issue de chaque chapitre ou objectif (en plus des quelques-uns répartis au démarrage de l’aventure). C’est le cas pour l’aptitude d’enquêteur, celle permettant de trouver des objets cachés, l’éloquence ou encore la force. Dans ce dernier cas, on se demande où se situe l’intérêt puisqu’en dehors d’offrir quelques possibilités pour muscler le dialogue, elle améliore aussi la résistance d’un personnage que rien ne vient jamais mettre à mal physiquement. Rien. On se rend compte également en avançant dans le jeu que les deux autres capacités (connaissance de la médecine et des sciences occultes) ne se développent pas de la même manière : il faut alors trouver des ouvrages disséminés à travers Darkwater pour augmenter à chaque fois son pourcentage de connaissance… Sana jamais pouvoir le maximiser. A moins d’avoir tout envoyé au départ sur ces compétences, mais encore fallait-il savoir qu’à ce moment, on pouvait utiliser des points d’évolution classiques.
Des petites choses bancales comme cela, Call of Ctulhu en a quelques-unes en stock. Comme dans le jeu de rôles sur plateau, le jeu vidéo prend en compte un système de santé mentale. A mesure que celle-ci s’aggrave ou au contraire, se préserve au gré des choix de Pierce qui ne semblent pourtant jamais suffisamment clairs pour en deviner les conséquences, le héros peut ou non prendre certaines décisions ou faire face différemment à certains événements. Dans les faits, le résultat est léger et les conséquences sur le final assez anecdotiques : le jeu comporte quatre fins, mais aucune d’elle ne justifie vraiment de relancer une partie pour choisir ou non de consommer de l’alcool, lire des livres interdits et ainsi assister à un dénouement différent. En ce qui nous concerne, nous en avons obtenu 3 fins sur 4 en une seule partie, sans rien changer d’autre que l’ultime choix de dialogue (à noter que l’on ne peut reprendre le jeu depuis un chapitre au hasard. C’est depuis le début ou rien). Dans tous les cas, aucune n’est véritablement satisfaisante et donne l’impression de tomber comme un couperet ; c’est bien dommage parce que dans sa globalité, Call of Cthulhu propose une expérience plus que satisfaisante.
Le jeu est certes très dirigiste. Il est difficile de passer à côté de quelque chose et si l’on peut naviguer un peu librement dans les environnements, ceux-ci sont très peu étendus et l’on s’en rend compte tout de suite, très cloisonnés. On peut aussi pester à quelques moments contre les phases d’infiltration, pas forcément très difficiles mais à la manière d’un Amnesia, elles forcent le joueur à éviter coûte que coûte les rencontres, sans laisser finalement beaucoup de liberté. On aime ou pas mais heureusement pour la seconde option, ces moments sont assez peu nombreux. On se passerait bien de ce genre d’expériences parce que lorsqu’il place le joueur face à quelques énigmes bien imaginées et surtout des dialogues très bien écrits, Call of Cthulhu se suffit sous cette forme. Il témoigne d’un gros travail sur l’ambiance, un respect sincère pour l’univers dont il s’inspire, à défaut de provoquer un quelconque sentiment de peur. C’est plutôt le poids de l’atmosphère que l’on ressent, l’impact du franchissement de la petite frontière ô combien inquiétante qui sépare le réel de ce qui ne l’est pas. On est emporté par les très bons doublages anglais sous-titrés en français (le reste de la partie sonore fait le boulot, sans être mémorable), par l’intrigue bien tenue, par la capacité du jeu à mettre en scène une galerie de personnages aux identités bien forgées.
Dommage alors que l’aventure connaisse une accélération aussi brutale sur son dernier quart. On peine un peu à s’habituer au changement et quand on parvient enfin à se raccrocher au fil, la fin tombe tout aussi âprement, au bout de huit heures de jeu et pas une de plus. On aurait clairement aimé passer plus de temps sur l’ile de Darkwater, tant l’immersion dans Call of Cthulhu fut profonde. Une dernière chose tout de même, et pas des moindres car elle peut freiner les plus sensibles d’entre nous à l’aspect technique d’un jeu : le titre de Cyanide n’est clairement pas un étalon du genre. Graphiquement, rien ne rend justice au travail accompli sur le fond ; sans le gâcher véritablement, le manque de finesse et de détail portent un coup passablement préjudiciable à l’immersion, à l’aspect artistique qui, lui, tient parfaitement la route. C’est un peu une affaire de sensibilité aux choses qui relèvent de l’esthétique, bien que l’on convienne sans détour de l’aspect rebutant de ces visages de PNJ lambdas qui semblent avoir été usinés à la chaine.
+
- Ambiance follement prenante
- Ecriture impeccable
- Très bons doublages (anglais)
- Enigmes rares mais très bien amenées
- Galerie de personnages soignée
-
- Techniquement d’une autre époque
- Final en mode TGV
- Assez court (huit heures)
- Très dirigiste
- Passages d’infiltration moyennement convaincants