Test : We Happy Few sur Xbox One
Cache ta joie !
De la pointe du stylo de Philip K.Dick aux coups de souris des développeurs de Wolfenstein, la dystopie voyant l’Axe rouler sur l’Europe pour imposer sa doctrine jusqu’aux confins du monde a quelque chose de bien connu. Pour autant, We Happy Few ne joue pas la simple carte de l’hommage et réalise un tour de force en nous plongeant d’une manière originale, très intelligente dans l’Angleterre de 1964, écrasée, broyée sous le joug de l’ennemi. Nous sommes à Wellington Wells, petit ensemble d’iles situées simplement à quelques coudées de la métropole. Comment se porte le monde ? Comment vivent les gens en dehors d’ici ? On ne sait pas grand-chose, beaucoup de choses sont suggérés, on laisse au joueur le soin d’interpréter parfois les choses. Ce dont on est certain en revanche c’est qu’à une époque, la couronne britannique a courbé l’échine face au vainqueur de la guerre, tellement bas qu’elle a accepté d’entasser tous les enfants du coin dans des trains, direction l’Allemagne. Voilà qui devrait vous donner une idée du genre de monde dans lequel vivent les habitants de la plus tellement perfide Albion. Dans We Happy Few, l’imaginaire du joueur est stimulé en permanence. Cela se met en place dès la phase d’introduction du jeu, par les coupures de journaux que l’on passe, les unes après les autres, dans la peau d’Arthur, personnage principal de We Happy Few et l’un des trois jouables au total. Le jeu de Compulsion dépeint alors en quelques minutes, avec une maitrise implacable, le monde terrible dans lequel Artur officie comme journaliste. Enfin, pour journaliste, comprenez plutôt censeur, heureux comme un pinçon pour peu qu’il se gave comme tous les habitants de Wellington Wells de ces petites pilules appelées Joy. Mais bien évidemment, il se passe quelques chose, une lecture, le retour d’un souvenir terrible qui pousse Arthur à mettre de côté la Joy. L’ennui c’est que ne pas prendre sa Joy à Wellington Wells a une conséquence simple : la mise au ban de la société avec au bout, une mort aussi inhumaine que certaine.
Ainsi débute We Happy Few. Chassé, devant repartir de zéro en dehors de la ville là où sont parqués tous les « rabat-joies » (ceux qui ont « oublié » leur Joy), Arthur n’a qu’un objectif en tête : quitter Wellington Wells et retrouver Percy, son frère disparu lors de la rafle à la fin de la guerre. Mais pour cela, il lui faut retourner au quartier de « la Parade », le cœur de la ville là où la Joy tourne comme le petit jaune au café du commerce à 11h. Mais qu’est-ce que c’est que ça, la Joy ? C’est un médicament, une drogue qui provoque la joie, voire l’hilarité des gens qui en consomment. C’est d’ailleurs obligatoire à Wellington Wells. On oublie tous ses soucis, son passé même, pour se concentrer sur le respect des bonnes manières quitte à ne devenir rien d’autre qu’un patin fait d’ossements et de chair. Vous voyez certainement où se trouve l’intérêt des autorités avec la Joy et quelque part, la métaphore opérée par Compulsion Game pour illustrer d’une certaine manière les travers de notre société d’hier et d’aujourd’hui. L’Angleterre, l’après-guerre bouleversée, une population goinfrée de cachets provoquant la joie tout en creusant chaque jour un peu plus le gouffre qui les sépare de la réalité : le monde de We Happy Few impose son cachet, son identité avec autant de force que l’on espérait, nous et les nombreux backers qui ont largement contribué au financement du jeu sur Kickstarter.
L’ennui, parce qu’il faut bien qu’on n’y vienne, c’est que tout ce qui entoure l’univers est bien loin du niveau attendu. On évolue certes au gré d’un scénario intéressant, sombre, porté par des voix en anglais parfaites et des compositions musicales qui soutiennent très bien l’ambiance. Mais pour en profiter, il faut s’accommoder d’une progression rapidement difficile à supporter pour ses longueurs. A plus forte raison dans un jeu comme We Happy Few qui prend une bonne trentaine d’heures pour être bouclé. Il y a d’abord la structure des missions : aucune quête principale, mais absolument aucune, ne sort de ce lot qui se contente pour l’essentiel de nous porter d’un point A à un point Z en passant par toutes les lettres de l’alphabet. Vous pouvez même rajouter les caractères avec accents si vous voulez. On arrive ici, on veut prendre un objet là-bas mais la porte est fermée. Alors on retourne, on apprend qu’il y a un autre moyen de faire, mais celui-ci demande d’abord l’accomplissement d’une tache, ou deux, ou trois. Bref, accomplir une mission ressemble le plus souvent à un jeu de piste, les énigmes en moins, l’ennui en plus. Une quête Fedex géante. Cela est d’autant plus ennuyeux lorsque l’on se rend compte qu’il ne se passe rien ou presque pendant les missions, au regard de la simple exploration : peu de rencontres, quasiment aucun événement inattendu. Quand on vous dit « va chercher », eh bien il faut aller chercher. Point. Inutile d’aller regarder du côté des quêtes secondaires pour plus d’adrénaline, les choses se passent le plus souvent de la même manière.
We Happy Few est devenu un jeu d’aventure, avec un scénario, en cours de route et ça se sent. Les mécaniques de jeu ont été pensées pour l’expérience de survie qu’il était censé être et ont du mal à se fondre dans une aventure scénarisée. Là où il n’aurait pas forcément été une mauvaise chose que de passer de nombreuses heures de collecte d’objets dans un jeu de survie, c’est tout de suite plus embêtant pour la cuvée finale. Arthur et les autres héros ont besoin de dormir, manger et boire. Pas d’inquiétude, rien ne mène au Game Over mais peu néanmoins réduire les capacités d’endurance ou de vitesse du personnage. Mais rien que pour cette partie « hygiène de vie », on récolte un nombre incalculable d’éléments alors que dans le même temps, les objets de soin ne peuvent être produits qu’à partir de végétaux. Bon courage pour faire le plein de baies dans les buissons en pleine ville. Il faut tout crafter, on ramasse une quantité énorme de choses pour finalement une poignée d’éléments utiles mais on se rend compte très régulièrement que, fait exprès ou pas, il manque toujours la chose dont on a besoin à l’instant T. Parce que oui, le scénario oblige parfois à crafter un objet précis pour pouvoir avancer. Si vous arrivez au lieudit de la « décharge » sans rossignol, on vous souhaite bon courage pour trouver dans les alentours de quoi en fabriquer un. La fabrication n’est pas proprement inutile, mais pour prendre l’exemple des armes : elles se cassent, certes, mais on en trouve partout et elles offrent très souvent des performances meilleures que celles que l’on est en mesure de fabriquer sur le moment. Alors pourquoi se prendre la tête ?
Puisque l’on parle des armes, évoquons la manière dont il est possible de faire face au danger et à quel point, là encore, les choses peinent à fonctionner. Il y a d’un côté l’infiltration qui est largement mise à contribution. On se met accroupi, on se cache dans certaines fleurs hautes (pas toutes, non), dans une poubelle ; on distrait l’ennemi avec une bouteille vide, une fléchette ou une brique pour se glisser derrière lui et l’endormir. Se planquer, c’est l’occupation favorite -malgré lui- du héros, parce qu’il y a non seulement les moments classiques du jeu d’aventure où l’on se trouve à un endroit où l’on ne devrait pas être ; mais dans We Happy Few, il y a aussi la question de la Joy : en prendre, c’est s’assurer de ne pas être ennuyé par la population, de pouvoir passer les points de contrôle fréquents sans faire hurler les sirènes. Au risque de perdre peu à peu la boule, la mémoire, voire de mourir d’une overdose. Ne pas en prendre, c’est rester soi-même, être courageux face à l’oppression, c’est voir les choses telles qu’elles sont réellement… Mais cela expose au regard méfiant de la population qui peut décider de s’en prendre à vous. Et là, les ennuis, les vrais, commencent. Dans les ruines de la campagne ou dans les rues des villes, les habitants pullulent et se faire repérer tourne à la véritable chasse aux sorcières, la baston de rue qui semble ne jamais vouloir prendre fin. Pourquoi ? Parce que les bonnes manières qui ont cours à Wellington Wells imposent de ne pas courir ou sauter ! Du coup, fuir un danger ne fait que l’augmenter en provoquant la grogne de la population (toujours armée d’objets contondants… Mais qui n’a pas le droit de sauter sur place ?). A moins de trouver une poubelle et là, il suffit de se planquer, même au nez et à la barbe des assaillants qui d’un coup ne voient plus le joueur et finissent par abandonner.
Non, l’IA n’est clairement pas au point. Ultra agressive, parfois capable de repérer un bout de poil qui dépasse, d’autres fois aveugle, elle est participe aussi au ressenti très particulier, pour ne pas dire négatif, provoqué par les combats. En parallèle de l’infiltration, We Happy Few invite très souvent à prendre les armes pour sauver sa peau, en gardant à l’esprit qu’il est en théorie possible de finir le jeu sans tuer personne. En dehors d’une grosse sélection d’accessoires (bombes artisanales, fléchettes tranquillisantes et autres pierres bien aiguisées), tout se passe au corps à corps. On débute avec un bout de tuyau, une pelle et puis on évolue vers des assemblages un peu plus sophistiqués et surtout particulièrement violents. Malheureusement, tout cela est bien peu précis, manque d’impact et finit au bout d’un moment par un matraquage de boutons en règle, pourvu que ça frappe au bon endroit. L’IA se contentant la plupart du temps d’opérer des séquences de mouvements identiques, on finit par privilégier le combat à toute autre forme d’approche pour avancer dans l’aventure principale, pourvu que l’histoire décolle. On retient malgré tout un système d’évolution du personnage simple mais fonctionnel (augmentation de la santé, de la force, du degré de discrétion, etc) et une belle sélection d’armes en tous genres, même si là encore on peut pester face à un système de sélection forçant à passer par l’inventaire pour changer d’outil de frappe. Des raccourcis sont pourtant disponibles pour les objets de soin ou la nourriture (mais là encore, pas franchement pratiques quand on accumule beaucoup de choses différentes).
L’addition d’un gameplay bancal et d’une progression trop lente prennent peu à peu le pas sur le plaisir ressenti lors de la découverte progressive du monde de We Happy Few. Il ne manque pourtant pas de détails, comme de très nombreux documents écrits dépeignant avec tristesse, force ou même avec un peu d’humour le Wellington Wells de 1964. On apprécie aussi tous les petits objets visibles ici où là, les affiches, les enseignent qui renforcent l’immersion dans ce monde pas comme les autres. Mention spéciale à la prise de Joy puis l’inévitable descente qui nous font passer d’une vue colorée et bouillonnante de vie à la triste réalité d’un monde délabré et livré aux junkies d’un genre nouveau. Mais là encore Compulsion Games manque le coche et délivrant une partition technique truffée de fausse notes. Précisons que le jeu a été testé sur Xbox One standard ; si les possesseurs d’une Xbox One X profiteront probablement d’une prestation un peu plus aboutie, l’essentiel des joueurs qui n’a pas encore fait de « jump in » a droit à un framerate qui n’atteint jamais les 30 fps stables, à des graphismes corrects qui doivent leur salut à la direction artistique de haut vol. Parce que lorsque d’un bout de maison n’apparait pas, lorsqu’un PNJ bute bêtement contre une brindille, lorsque le clipping fait rage et, comble de l’impensable, quand des temps de chargement s’incrustent en pleine exploration au beau milieu de la ville (alors que l’on entre et sort des bâtiments sans attendre), on commence sérieusement à avoir du mal à trouver la motivation pour avancer. We Happy Few ne vous épargnera pas non plus les retours de sauvegarde à mille bornes du point où elle a été faite, comme il ne nous a pas épargné des retours au dashboard de la console, surtout lors des missions dans le quartier de la Parade. On a connu plus joyeux.
+
- Univers unique, à l'identité forte
- Ambiance sonore au poil
- Direction artistique d’une rare qualité
- Un certain sens du détail visuel
- Grosse durée de vie…
-
- … Au prix de bien des longueurs
- Du point A, vers le B, puis le C, jusqu’à Z
- Combats creux et évidemment très présents
- IA shootée à la Joy
- Crafting omniprésent et pourtant sans grand intérêt
- Des bugs en tous genres
- Framerate inconstant en permanence (non testé sur One X)
- Chargements inopinés bien pénibles