Test : Shadow Tactics: Aiko's Choice sur Xbox Series X|S
À l'est, rien de nouveau… Et tant mieux !
Shadow Tactics: Aiko’s Choice s’inscrit dans le sillage du jeu d’origine et nous replonge en plein Japon féodal. Plus précisément à l’aube de l’ère Edo que les historiens placent tout au début du XVIIe siècle. L’archipel entame alors une longue parenthèse de paix et de prospérité. L’action du jeu met cependant en scène un énième conflit fictif entre le pouvoir central et celui de Kage-Sama, un mystérieux seigneur provincial rejetant l’autorité du nouveau Shogun.
Ce dernier, soucieux d’éviter l’embrassement général et le retour du chaos, charge Mugen, un vaillant samouraï, de régler la situation au plus vite. L’homme est prêt à sacrifier sa vie pour accomplir sa mission. Cependant, il n’est pas seul. Hayuto, un mercenaire rompu aux techniques ninjas, Aiko, une espionne chevronnée, et Yuki, une adolescente arrachée à la rue, marchent à ses côtés. Takuma, un vénérable tireur d’élite flanqué d’un tanuki (Chien viverrin ou raton laveur), complète cet équipage improbable. Ensemble, ils remportent plusieurs victoires éclatantes, allant jusqu’à affaiblir Kage-sama. Cependant, ils tombent dans un guet-apens orchestré par Lady Chiyo, célèbre Sensei d’Aiko. Elle enlève Yuki et Takuma, puis donne l’ordre à ses sbires d’exécuter le reste du groupe. C’est à cet instant que démarre l’extension qui prend place entre les chapitres 8 et 9 de Shadow Tactics: Blade of the Shogun (soit entre « Kanazwa » et « Le camp de Kage-sama »).
D’emblée, on retrouve avec plaisir les personnages auxquels on s’était attachés. Aréopage curieux, la petite équipe déploie en toute conscience des stéréotypes qui émaillent aussi bien la littérature que le théâtre, le cinéma, le manga ou, en l’espèce, le jeu vidéo : le colosse au grand cœur, le mercenaire cynique qui n’est jamais très loin du prince déchu ou de l’ange de la mort, la jeune aventurière rebelle qui devient femme fatale à l’occasion, l’orpheline débrouillarde et le vieux sage énigmatique. Un schéma archiclassique qui fonctionne pourtant très bien. C’est d’autant plus agréable que Mimimi Games a su habilement exagérer certains aspects pour induire pas à pas une distanciation teintée d’ironie mordante sur des sujets tels que la guerre, le sort des victimes, la valeur des serments ou encore la fragilité de l’existence. Une approche qui s’apparente d’ailleurs à l’ambiguïté des interprétations de Toshiro Mifune sous la houlette d’Akira Kurosawa ou au discours subversif de certains mangas. Un hasard sans doute, et c’est marginal, mais suffisamment bien écrit pour rester léger et suffisamment léger pour s’insinuer dans un coin de la tête en commentaire amusé du cours des évènements. Même si les interactions sont plus rares et moins convaincantes que dans le jeu d’origine. Du reste, le récit se cantonne là encore à des sentiers balisés faits de luttes intestines, de disgrâces, de trahisons, de coups de théâtre, mais il se révèle solide et cohérent à défaut de susciter l’enthousiasme. Le tout s’articule naturellement et l’on suit de bon cœur le périple de nos héros, en outre bien servis par des doublages de qualité (surtout en japonais).
De son côté, l’action obéit toujours à une logique immuable et se résume à attaquer successivement des places fortes de mieux en mieux défendues. L’idée étant de déceler peu à peu leurs points faibles avant de les neutraliser selon un cheminement qui exige un minimum de réflexion et de préparation. D’où l’aspect stratégique du jeu qui bascule ensuite vers l’infiltration et la tactique lorsque vous déclenchez vos manœuvres.
Par ailleurs, Shadow Tactics: Aiko’s Choice hérite de la superbe direction artistique et du level design très rigoureux de son aîné. Bien entendu, les créateurs ont pris des libertés avec l’exactitude historique et les décors, les costumes ou l’architecture des bâtiments se réfèrent parfois autant au Japon qu’à la Chine, à la Corée ou même à la vieille Europe. Le résultat n’appelle aucune critique, tant les environnements sont denses, agréables à l’œil et remarquablement agencés. De fait, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, la déclinaison des coloris les plus vifs aux nuances les plus douces, permet d’identifier rapidement les ennemis, les patrouilles, de situer les PNJ, d’appréhender les décors, d’envisager des cheminements tout en préservant une esthétique d’ensemble qui s’emble s’inspirer en grande partie des carnets de croquis de Katsushika Hokusai.
Les zones d’effet des armes et des différents objets apparaissent en temps réel selon des couleurs également bien définies. Il en va de même pour le champ de vision des sentinelles, qui se divise en deux sections en proportion de la distance : une pleine, près des gardes, où vous êtes immédiatement repéré, et une autre striée, plus éloignée, où vous pouvez prolonger votre invisibilité à condition de rester accroupi et silencieux. Tout est fonction du niveau d’alerte. En vert, les soldats ignorent votre présence. En jaune, ils sont sur le qui-vive, car ils ont détecté une anomalie et vous recherchent activement. En rouge, ils vous voient et vous attaquent sur-le-champ tout en déclenchant le branle-bas de combat. Dans ce cas, vous devez fuir à toutes jambes et vous cacher en attendant que la tension retombe. Malheureusement, les gardes reçoivent alors du renfort et font désormais de vastes rondes par groupes de deux ou trois, en croisant les trajets, ce qui rend votre avancée bien plus ardue.
On peut d’ailleurs afficher le cône de surveillance fixe ou mobile de chaque ennemi en promenant un point d’interrogation partout sur la carte et en disposant des points de repère au gré des missions ou de l’itinéraire que l’on choisit (Mode Vision). Cet outil permet de mettre en surbrillance tous les éléments de décor (échelles, trappes, relais, cachettes, crochets pour le grappin…), mais aussi les PNJ, auréolés de blanc ou de rouge selon leur allégeance (pour ou contre vous), et vos ennemis. Immobiles ou statiques, ils se couvrent les uns les autres et sont de trois types distincts. Les simples soldats peuvent tenir une position ou parcourir la zone selon des trajets bien définis. Ils sont assez faibles et vous pouvez les distraire aisément ou vous en débarrasser sans trop d’efforts pour peu qu’ils soient isolés. Les sentinelles affublées d’un chapeau de paille surveillent les points névralgiques et ne quittent jamais leur poste. Nettement plus puissantes et pratiquement imperturbables, vous pourrez souvent les contourner en prenant des risques calculés ou les prendre à revers, mais vous devrez plutôt éviter l’affrontement direct. Viennent enfin les samouraïs. Qu’ils arpentent les lieux méthodiquement sur de longues distances ou qu’ils bloquent certains passages en discutant avec des PNJ ou avec leurs subalternes, ils vous obligeront à fuir ou à adopter des stratégies de contournement bien rodées. Seul Mugen pourra leur tenir tête à condition de privilégier le combat en un contre un, sachant que ses coups majeurs ont les temps de recharge les plus longs (3 à 18 s), et que ses munitions sont aussi rares que celles du fusil de Takuma.
Dans ce cadre parfaitement défini, votre groupe se limite à trois personnages indépendamment des évolutions du récit. Chacun a sa tonalité dominante, son arme de prédilection, sa botte secrète et ses failles en fonction des situations. Mugen incarne la puissance brute et outre les samouraïs, peut éliminer trois adversaires d’un coup (au Katana comme au pistolet). Ce qui est impossible pour ses compagnons. Il possède également une bouteille de saké, très pratique pour attirer les gardes et tromper leur vigilance. En contrepartie, du fait de son armure, il est bloqué par le moindre point d’eau, se meut plus lentement que ses compères et ne peut grimper qu’aux échelles. En bon Shinobi, Hayato est discret, adroit et vif, mais ne peut compter que sur son shuriken et son sempiternel caillou pour tuer ou distraire ses ennemis. Apte à nager et passer partout à l’aide d’un grappin, il déplace et dissimule vite les corps en se tenant debout, comme Mugen. Ce qui le rend alors facilement détectable. Aiko est son pendant féminin. Elle peut se déguiser, flirter avec les soldats sous l’apparence d’une geisha, créer des diversions avec une fiole de « poudre à éternuer », terrasser les gardes avec une pince à cheveux ou un mini pistolet identique à celui d’Hayato, de Yuki ou de Takuma, et cacher ses victimes en les traînant sur le sol tout en restant accroupie. C’est long et risqué. En revanche, elle se fera moins facilement repérer que ses acolytes masculins. Elle dispose également d’un grappin. Yuki a la faculté d’attirer les soldats avec sa flûte et de placer des pièges mortels à son gré. Enfin, Takuma est à même d’éliminer ses cibles à très grande distance avec une précision chirurgicale, de lancer des grenades ou de faire appel à son tanuki pour se jouer des gardes ou semer la pagaille. Il est toutefois incapable de nager ou de grimper aux murs avec sa bruyante jambe de bois ! Par ailleurs, tous peuvent se soigner ponctuellement (en dehors des combats).
L’ergonomie est impeccable. Tout tombe naturellement sous les doigts, avec d’un côté la sélection des actions, de l’autre, celle des héros. Un appui long sur LB et RB affiche la description des actions ou des caractéristiques des membres de votre groupe que vous pouvez déplacer seuls, deux par deux, ou trois par trois. Les gâchettes RB et RT permettent de contrôler la visée ou la caméra (rotation et zoom). En ajoutant la croix directionnelle, vous pouvez recentrer la vue sur le personnage sélectionné, revenir sur l’historique des dialogues, les objectifs de mission, les excellents didacticiels ou les récompenses en cours (badges), inspecter les environnements avec le Mode Vision (ou surbrillance), ou passer en Mode Ombre. Cette option inaugurée par le premier Desperado en 2001 et reprise par Mimimi Games fait tout le sel des productions du studio allemand. Elle met, en effet, le jeu au ralenti pour faciliter les mouvements complexes exigeant un timing minutieux, et permet surtout de coordonner plusieurs actions simultanées ou légèrement décalées en regard de votre progression, des lieux, des obstacles et du nombre d’ennemis.
Vous êtes alors libre de combiner diversion et futilité ou pièges et attaques frontales. Le tout étant de bien jauger chaque manœuvre, de faire preuve de patience et de précision. Pour lancer au moment opportun le script que vous avez élaboré avec soin, il vous suffit ensuite d’appuyer brièvement sur Y ou au contraire, de tout annuler en pressant cette même touche pendant quelques secondes. Limpide, intuitif, efficace et jubilatoire lorsque votre plan fonctionne selon vos désirs ! Qui plus est, les possibilités sont presque illimitées, et à condition de sauvegarder dûment votre progression, le plaisir sans cesse renouvelé !
Par rapport à des titres qui reposent sur une dynamique au tour par tour, plus rigide manette en main, l’incertitude du résultat se déplace assez nettement de la préparation en elle-même à la projection de vos choix en temps réel. Certaines erreurs pouvant être rattrapées in extremis, d’autres vous étant fatales. Ce qui justifie tout à fait le recours à des sauvegardes rapprochées dont le jeu vous rappelle discrètement l’importance par le biais d’un petit chronomètre qui surplombe l’écran et rougit d’émoi au fur et à mesure que vous avancez sans filets ! Une excellente idée, là encore.
Dans l’absolu, toutes les expériences sont gratifiantes, mais cette formule, lorsqu’elle est, comme ici, parfaitement maîtrisée, se révèle plus souple et intuitive. C’est d’ailleurs la marque de fabrique de Mimimi Games : faire converger tous les éléments de game design, y compris les plus infimes détails, vers l’efficacité des mécaniques de jeu. Les mêmes qu’en 2016 avec, toutefois, plus de fluidité du fait de la puissance accrue des X|S par rapport aux Xbox One et One X. L’alternance quick save/quick load est ainsi encore plus probante et, dès lors, tout se met en place au pixel près et fait s’imbriquer à la perfection les différentes pièces du puzzle. C’est tout simplement bluffant !
Évidemment, on peut toujours regretter que les gardes ne se préoccupent pas bien longtemps du sort de leurs comparses que vous venez d’occire ou d’assommer (le jeu vous en laisse le choix en permanence). On peut aussi pester contre certaines invraisemblances : tuer d’un seul coup de shuriken n’est tout même pas si courant, par exemple ! De même, on peut se lasser des thèmes musicaux répétitifs, pas très inspirés et beaucoup moins convaincants que l’excellent sound design qui accompagne votre périple. Certes, mais ce serait passer à côté d’une expérience de jeu rare que Mimimi Games a su préserver contre vents et marées avant de prendre la décision courageuse de cesser ses activités en août 2023 face à l’explosion des coûts et aux risques de burn-out. Hasard du calendrier, ou ironie du sort, Shadow Tactics: Aiko’s Choice sur PC fêtait le cinquième anniversaire de la sortie de Shadow Tactics: Blades of the Shogun. Trois ans plus tard, il sort enfin sur console et le studio a depuis fermé ses portes… S’il fallait une énième raison pour succomber au charme de cet add-on remarquable, vous l’avez, sachant qu’il peut se jouer indépendamment du titre de 2016 et qu’il vous tiendra longtemps en haleine !
+
- Gameplay exceptionnel
- Level design tiré au cordeau
- Direction artistique très réussie
- Ergonomie parfaite
- Optimisation exemplaire
- Doublages de bonne facture
- Extension autonome
- Contenu solide
- Durée de vie
-
- Animations, IA et textures un peu datées
- OST pas très inspirée et répétitive
- Version Deluxe pour les fans
- Sept ans d'attente pour un DLC…