Test : Still Life sur Xbox
Valse à deux temps pour tueur au sang froid
Chicago, années 2000 : la capitale de l’Illinois se couvre d’un manteau de neige qui semble l’enfermer dans une bulle statique malgré les feux multicolores des guirlande censéessymboliser l’approche du jour divin. Un immeuble taudis dans un quartier délabré quelconque et des voitures de flics garées en bas, l’agent Mac Pherson traverse un étroit corridor pour aller constater la mort particulièrement sauvage d’une jeune femme, cinquième sur une liste qu’on a attribuée à un tueur sans visage. Des murs qui s’effritent sous les néons des encarts publicitaires et dans la lumière faiblarde d’étranges mots inscrits en lettres de sang. Toujours le même modus operandi, des filles noyées et éviscérées suivi d’un jeu de piste orchestré par un assassin qui semble vouloir convoyer un message bien précis.
Pas de lien tangible entre les victimes en dépit des premiers éléments amassés et de témoins interrogés, l’enquête traîne et Chicago se noie dans un verre de sang. Epuisée par les nuits sans sommeil, Victoria Mac Pherson part se ressourcer chez son père – est-ce pour autant la nostalgie, la curiosité ou un signe du Destin qui la pousseront à fouiner du côté du grenier pour y dénicher le journal intime de son grand père, autrefois détective privé ? A voix haute, l’héroïne commence à nous narrer son récit tandis qu’un flou nous ramène en arrière, dans la Tchécoslovaquie des années 1920.
Le détective Gustaf Mac Pherson est engagé à Prague pour découvrir quelle âme damnée assassine des prostituées, avec un rituel qui présente les mêmes similarités que dans l’enquête de sa petite fille bien des années plus tard. A partir de cet instant, deux investigations vont se poursuivre simultanément sous les yeux du joueur avec un exercice de style particulièrement immersif et prenant alors que les deux destinées, intrinsèquement liées, vont être le catalyseur pour considérer sous un autre angle les recherches de Victoria.
FBI : portées disparues
Chaque scène de meurtre se transformant en théâtre d’investigation, votre rôle en tant qu’agent de la section criminelle sera de relever les empreintes résiduelles, de prélever du sang, d’étudier les sources d’indices et de photographier avant d’interroger toute personne ayant trait de près ou de loin avec les victimes – sans compter une étroite collaboration avec le médecin légiste qui ne manquera pas de fournir des rapports détaillés. Autre époque, autres méthodes : au matériel sophistiqué de Victoria (bandelettes à prélèvement, pipettes, révélateur d’empreintes, lumière à ultra violets…) se substituera le système D de son grand père, plus habitué aux outils de crochetage. Afin de mieux marquer la distinction entre les deux époques, l’enquête de Prague optera pour des teintes entre noir et blanc et sépia et des graphismes plus gothiques, renforcés par des environnements qu’on aurait pu facilement attribuer à un film tel Damien : La malédiction comme une vieille chapelle transformée en morgue, une église envahie par les corbeaux, des ruelles pavées désertes ou un parc abandonné avec une statue qui semble crier sa douleur. Tout comme le monde est mis en suspens pendant que le meurtrier opère, nous sommes tenus en haleine, osant à peine respirer, tandis que les crimes se multiplient.
Misant sur l’esthétique avant tout, le titre est à lui seul une bible en connotations cinématographiques et littéraires, aussi bien au niveau visuel que par ses dialogues puisque nous retrouvons des références au Silence des agneaux, au Fantôme de l’opéra (avec l’histoire du masque et du costume), à Jack l’éventreur, à Seven ou à la série des Sherlock Holmes à travers les différentes énigmes. Les dialogues, par ailleurs, constitueront un élément de prime importance d’où le soin qui leur a été apporté : ponctués d’humour et de petites vannes bien placées avec un langage commun qui nous immerge totalement dans la peau d’un flic d’aujourd’hui, ils savent s’orienter en contrepartie vers des propos plus en retenue lorsque nous nous glissons dans l’univers du Prague des années 1920. Ils fourmilleront, de surcroît, de détails qu’il faudra interpréter pour poursuivre l’enquête et se parent d’une certaine originalité car non seulement ils s’activent avec les manettes gauche et droite mais si la gauche engendrera une conversation parfaitement professionnelle, la droite permettra d’aborder des thèmes personnels. Aspect à prendre toutefois comme élément subsidiaire mais qui ne déclenchera pas de quêtes subalternes à réaliser, la trame du jeu ne se constituant qu’autour des deux investigations.
Et Johnny dansait sur le fil du rasoir
Après Post Mortem (qui se focalisait déjà autour de Gustav Mac Pherson), Microïd réitère avec son système de point & click et de copier / coller de personnages en 3D sur décors en 2D avec caméra fixe. Techniquement proche de la série des Syberia, les histoires divergent en revanche, exception faite qu’elles mettent en perspective deux héroïnes audacieuses, indépendantes et désireuses d’aller jusqu’au bout quoi qu’il arrive. Si cette série de meurtres irrésolus est sujet à maintes hypothèses et que l’on se complait dès le début à voir en un personnage le coupable idéal, on déplore que la trame ne se découvre qu’à travers un dialogue ou une action entreprise à un moment pré-calculé. De manière plus factuelle, le scénario souffre d’une linéarité plutôt aberrante dans le cadre d’une enquête officielle ne permettant pas d’aller revoir un lieu par moments ou d’aller interroger une personne bien précise si tout à coup une idée s’offre à vous. Chaque action sera le fruit d’une autre action ou d’une borne de dialogues qui aura préalablement débloqué un endroit à visiter ou une nouvelle personne à interroger. Dans la même veine, vous ne pourrez pas utiliser ou ramasser certains objets tant que le scénario ne s’y prêtera pas alors que le peu de PNJ présents dans le soft ne sera pas là pour agrémenter un décor mais pour répondre à une attente à un moment donné.
Concrètement, cela implique que toutes les actions et énigmes devront être réussies si vous souhaiter poursuivre sous peine de quoi vous bloquez tout le jeu. Un challenge à prendre donc en considération au vu de l’aspect tordu de certaines énigmes, qui ont le mérite de triturer nos cellules grises mais dont certaines, telles la recette de cuisine, n’avaient pas lieu d’être si l’on garde à l’esprit qu’un tueur opère en parallèle. Ce chemin tout tracé engendre malheureusement une baisse de rythme, particulièrement saisissante lorsque la caméra est placée loin de votre personnage et que celui-ci prendra plusieurs secondes pour traverser un environnement – étant donné que l’on ne peut courir. A ceci s’ajoutent l’absence d’un raccourci vers l’inventaire qui aurait permis d’utiliser rapidement un objet au lieu de naviguer au sein d’une interface un peu lourde et des temps de chargement extrêmement fréquents bien que très courts. En contrepartie, les séquences cinématiques, joliment travaillées, sont autant un plaisir visuel qu’émotionnel puisque carrément angoissantes, y compris lors des « visions chaotiques » dont Gustav Mac Pherson semble être la victime.
Ils furent sans pêché ; et ils ont des mérites
« Au vice de luxure, elle fut si rouée qu’elle fit dans sa loi la licence licite, afin d’ôter le blâme où elle était conduite… ». Le conditionnement évoqué plus haut se perpétuera à travers l’apparition de différentes icônes dans les décors ayant pour but de vous diriger vers l’objet à observer ou à saisir (ce qui sous-entend que tous ne pourront être analysés à contrario du titre New York Police Judiciaire sur PC qui laissait la possibilité de tout récupérer et de choisir ensuite lesquels étudier car susceptibles de faire avancer la progression). Si l’on exploite davantage le domaine des considérations techniques, on précisera qu’on aurait également souhaité que le héros puisse exercer différents mouvements (se baisser, se planquer derrière un mur pour filtrer une conversation, courir ou encore – et c’est le plus basique – tenir une arme).
En effet, les amateurs de scènes mouvementées et de courses-poursuites n’y trouveront pas leur compte, inutile d’espérer tirer une balle ou se servir de ses poings pour faire parler un suspect – l’orientation du titre étant clairement « intellectuelle », on baigne ici dans le pur jeu d’investigation qui n’a en commun avec le style survival horror que des décors propres à faire fantasmer l’imaginaire collectif. La traduction est elle pour autant respectée ? Elémentaire mon cher Watson puisque outre des dialogues bien léchés comme il a été mentionné, la localisation est quasi parfaite et se paye le luxe de faire appel à des doubleurs bien connus des petits et grands écrans (le docteur Benton d’Urgences, Peggy dans Mariés deux enfants ou encore Prue dans Charmed ainsi qu’une pléiade d’acteurs dont Kevin Costner, Wynona Ryder, Jennifer Garner, Sarah Michelle Gellar, Ewan Mc Gregor ou Samuel.L Jackson pour ne mentionner que ceux là). Après une séquence d’introduction sur fond de requiem en ré mineur de Mozart et magnifiquement orchestrée, la musique sait se faire autant discrète dans certains niveaux que grinçante à d’autres moments, avec une mention spéciale pour les moments où l’on entend les battements de coeur du héros.
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- Plutôt inégaux en résumé puisque se partageant entre un joli travail effectué au niveau des tableaux et des environnements à Prague et une impression persistante de décors figés. Attention toutefois, certaines scènes peuvent choquer un jeune public.
- On aurait apprécié un raccourci vers l’inventaire histoire de ne pas perdre de temps en naviguant au sein d’une interface lourde. La gestion des personnages est pénible car ils sont lourdement maniables et nécessitent de se placer au millimètre
- Largement amplifiée par la nécessité d’effectuer des allers et retours et la présence d’énigmes qui font s’arracher quelques cheveux et loucher du côté de la solution du jeu, en dehors de ces considérations les enquêtes sont plutôt courtes (10h au plus)
- La grandiloquence de Mozart fait écho à des sons plus gothiques mais toujours dans la bonne mesure. La localisation ne souffre d’aucun défaut et est servie par des dialogues qui figurent parmi les plus sympas vus à ce jour sur Xbox.
- Deux époques, deux destinées, deux enquêtes. Pari tenu car l’histoire nous tient en haleine de bout en bout et on a hâte d’en connaître la conclusion. On regrette toutefois une certaine linéarité.
- De facture honnête, Still Life trace son sillon dans le monde des point & click et s’avère être une expérience plutôt sympa mais définitivement tournée vers un certain public.
- La modélisation des personnages demeure moyenne et assez peu expressive. On note au passage des difficultés pour se positionner correctement parfois. Les séquences cinématiques méritent, par contre, d’être mentionnées pour leur puissance émotionnelle.