Test : Need for Speed Heat sur Xbox One
Tache d'huile à Palm City
Bienvenue à Palm City petit bolide ! Des larges avenues qui bordent le littoral jusqu’aux collines boisées qui surplombent mangrove, zones industrielles et péri-urbaines, le monde de Need for Speed Heat joue la carte du traditionalisme. Que ce soit dans ses proportions, sa variété et jusque dans l’ambiance visuelle qui y règne, la map de Heat est une map 100% Need for Speed. Loin du gigantisme d’un The Crew, pas même au niveau d’un Forza Horizon 4, Need for Speed Heat nous offre néanmoins quelque chose de tout à fait satisfaisant pour le genre, une application stricte du théorème de Saint Albray. Ni trop large, ni cloisonnée, la ville de Palm City et son ambiance décontractée à mi-chemin entre Miami et Ajaccio un samedi se pose comme un terrain de jeu particulièrement adapté au mode de conduite voulu par Need for Speed de cette dernière décennie : au diable le free ride, ici on a besoin d’action permanente. Il faut que ça file, que ça glisse, que ça brille comme un miroir de bordel. Dans ce contexte vous voilà vous, habituel no name qui se tape l’incruste dans un univers où on n’aime pas trop les étrangers. Venu pour la compèt’ officielle, vous allez vite vous retrouver au coeur de quelque chose de plus sombre. Une fois votre avatar sélectionné parmi une dizaine de modèles préfabriqués qui auront du mal à inspirer un semblant de sympathie à n’importe quelle personne post-pubère, c’est parti pour une conquête en bonne et due forme des rues de Palm City.
Comme tout bon Need for Speed, Heat articule sa progression autour d’un scénario. Sur fond de compétition officielle le jour qui cache bien des choses se déroulant la nuit, il est question ici de l’habituelle bataille entre les forces de l’ordre (véreuses, forcément) et les justiciers de la nuit, ceux dont on oubliera vite qu’ils empêchent le voisinage de dormir et mettent des vies en danger car au fond, ils sont sympas et n’aiment pas les policiers méchants. Bref, vous retrouverez comme souvent les archétypes du jeu de courses estampillé « tuning », de l’ex-héros en quête de rédemption à l’habituelle tête à claques, en passant par la nana surdouée, jolie (mais pour une fois pas vulgos, c’est à noter) et forcément archi-serviable. On s’éloigne donc de l’univers complotiste et ridiculement sérieux de Payback pour quelque chose de plus traditionnel, sans pour autant parvenir à véritablement accrocher à ce qui nous est présenté. En dépit de quelques jolies cinématiques, on oublie vite pourquoi on est là. Ce désamour, au-delà du manque évident de profondeur que pourrait bien fournir un Need for Speed, est causé par la structuration de la progression dans Heat.
Grosso modo, on navigue en permanence sur deux voies : celle de Palm City de jour, où se déroulent les épreuves de courses officielles du Speed Hunter Shodown, et Palm City de nuit, moment durant lequel les oiseaux nocturnes s’adonnent à des rodéos sauvages. Jusque-là, rien d’anormal me direz-vous, on retrouve ce principe de découpage entre épreuves officielles sur circuit fermé et courses illégales au milieu du trafic dans des tas d’autres jeux, comme Forza Horizon pour ne citer que lui. A partir de là, les missions principales se déverrouillent progressivement en fonction du niveau de réputation du joueur mais aussi de l’indice de performance du véhicule. Il est donc impératif de faire grimper tout cela en participant à des épreuves non-scénarisées. C’est là que survient le premier écueil dans notre expérience Need for Speed Heat : aussi vrai qu’il y a les courses de jour et celles de nuit, les premières rapportent de l’argent, tandis que les secondes viennent gonfler la réputation. Cela signifie tout simplement que pendant que vous réglez un manque d’une part, vous mettez de côté l’autre. Il faut donc alterner entre jour et nuit, courses de type A et de type B, pour gagner de la réputation d’un côté et prendre de l’argent de l’autre. Si le principe n’est peut-être pas critiquable en soi, il revêt rapidement un simple habit de cache-misère, d’opération visant à rallonger artificiellement la sauce. Le rythme entre les missions principales en prend un coup tant on a l’impression qu’il nous manque invariablement quelque chose pour débloquer la prochaine mission et que quelqu’un, quelque part, se marre en nous regardant.
Ce piétinement permanent, cette lourdeur dans la progression sont accentués par plusieurs autres choses, comme le fait qu’il soit possible de switcher du jour vers la nuit depuis la carte, mais pas l’inverse. Pour passer de la nuit au jour, il faut impérativement retourner jusqu’à la planque la plus proche (il y en a une quinzaine à débloquer en tout). Ce choix tient au fait que les points de réputation, gagnés la nuit donc, peuvent éventuellement être perdus si vous vous faites coffrer par la police, sachant que titiller les forces de l’ordre fait grimper le multiplicateur de score et permet d’empocher potentiellement un gros paquet de points. Tentant pour sûr, mais encore faut-il parvenir à les ramener à la maison. Autour de cela, on retrouve aussi des cartes de défis à accomplir qui ne sont pas les mêmes pour le jour et pour la nuit ; si vous décidez d’en changer avant d’avoir complété les trois challenges qui composent une carte de défis, vous perdez votre progression. On se force ainsi à trainer le jour pour finir des défis, alors que l’on aurait plutôt intérêt à aller concourir la nuit pour progresser dans l’aventure. Et vice versa.
L’ennui pour Need for Speed Heat, c’est qu’il ne peut pas compter sur le reste pour véritablement rattraper le gros écueil que représente ce mode de progression décidément bien lourd. Comme nombre de ses prédécesseurs, Payback en tête, Heat laisse une trop grosse marge d’importance aux performances du véhicule, au détriment des capacités du joueur. La victoire dépend du niveau des pièces embarquées mais aussi du type d’effet que cela va créer sur le comportement du véhicule. Pour essayer de résumer, vous trouverez tantôt des pièces qui vont simplement booster les performances et d’autres fois des éléments qui vont rendre le véhicule plus à l’aise sur l’un des quatre axes majeurs : la tenue de route, la capacité à s’adapter à différents types de revêtements, la réactivité lorsqu’il faut enchaîner des courbes serrées ou bien la prédisposition au drift. On peut ainsi choisir de mixer un peu de tout ou à l’inverse de spécialiser le véhicule sur un type de comportement. Sachant que, à mesure que l’on avance dans le jeu, les épreuves tendent à s’orienter vers des approches de conduite précises. N’espérez pas gagner une épreuve de drift si votre véhicule est monté « course » par exemple, pas même réussir à choper une étoile de score dans une zone de glisse qui, comme les tremplins et autres radars, sont disséminés un peu partout sur la carte.
L’idéal est donc de disposer de plusieurs véhicules dans son garage, de les préparer différemment. Mais il faut de l’argent, ce qui nécessite donc de multiplier les courses officielles qui dans le même temps ne rapportent pas un point de réputation. Bref, je crois que vous avez compris le topo. Mais ! Me direz-vous à juste titre : il n’y a pas forcément de mal à multiplier les courses, même dans ces conditions, pourvu que l’on prenne du plaisir à conduire, non ? L’ennui c’est que là encore, Need for Speed Heat ne convainc pas tout à fait. La saga a depuis longtemps adopté une prise en mains ouverte au plus grand nombre, une approche du jeu de courses arcade sous sa forme la plus accueillante qui soit ; ici, on retrouve cette facilité quasi-immédiate d’adaptation mais avec une particularité quelque peu déconcertante. Si le frein ne servait déjà pas à grand-chose avant, il est ici totalement inutile. Mieux, le frein à main passe lui aussi au second plan et les glissades à très haute vitesse qui sont le nerf de la guerre dans Heat s’effectuent simplement en relâchant l’accélérateur et en renvoyant les gaz aussitôt. C’est un principe de glisse semblable à celui que propose par exemple Xenon Racer mais qui apparaît ici sous la forme la plus automatisée et assistée qui soit. Ce n’est pas foncièrement désagréable, mais c’est tellement assisté que vous remarquerez dès les premiers instants de conduite que la voiture se redresse toute seule après chaque petit coup de volant, quitte à vous empêcher de prendre vraiment la courbe de la façon que vous avez choisi. Perfectionnistes, esthètes : vous n’allez pas toujours aimer la façon prédéfinie qu’a la voiture de choisir presque toute seule le chemin.
A moins d’être peu habitué au genre -auquel cas on appréciera sans doute l’accessibilité- on se sent un peu désemparé, alors que l’on sait que la victoire dépend surtout d’un indice de performance mais aussi du bon vouloir de l’IA. Parfois à la traîne, d’autre fois déchaînée comme un Fangio sous acides et absolument intouchable, l’IA semble aussi bénéficier d’un degré d’indulgence face à la faute dont nous autres sommes exempts. La différence de pénalité lors d’une collision selon qu’il s’agisse de l’IA ou du joueur est absurdement grande. On ne parle même pas de nos amis de la police qui bénéficient parfois d’un boost de nitro sorti de nulle part. Il faut parfois une bonne dose de patience et certainement une goutte d’opportunisme pour les semer, en prenant soin par moments de passer à travers une station-service pour permettre à la voiture de se refaire une santé. Un peu comme dans Burnout Paradise, oui.
Tout cela étant dit, il faut tout de même mettre au crédit de Need for Speed Heat plusieurs choses qui en font un jeu qui, s’il n’est pas vraiment le NFS devant lequel on se voit dévorer les heures et les kilomètres comme à l’époque Underground/Most Wanted (le premier, le vrai), n’en demeure pas moins valable selon votre profil de joueur. Les véhicules sont sous licence et comme toujours très soignés, personnalisables de façon très simple et convaincante. On peut même régler la sonorité du moteur, voire la couleur de la fumée s’échappant de la gomme. Accessible on l’a dit, Need for Speed Heat est, si l’on s’adapte à sa progression lente, un jeu qui permet de cumuler les courses en tous genres (circuits, sprints, drifting, avec ou sans trafic au milieu), les défis et autres choses à collectionner, le tout avec une sensation de vitesse satisfaisante, pour peu que l’on adopte une vue intérieure. L’offre est dans son ensemble très solide, sans parler du multijoueur qui vient mettre sa couche et promet quelques bons moments, entouré des bonnes personnes. Et puis surtout, Need for Speed Heat est un jeu très beau. Ghost Games avait déjà réalisé un travail assez remarquable avec son NFS de 2015, antérieur donc aux Xbox One X et autres PS4 Pro, et signe ici un titre à la hauteur des attentes en 2019. Si la réalisation est agréable le jour, elle est véritablement sublimée la nuit, où la profusion d’effets de lumière et de reflets vous assurent d’être immédiatement dans le bain. Sur un fond musical mêlant électro et R’n’b, une ultime chose vient pourtant ternir cette jolie fresque : c’est mort. La ville est absolument morte. Peu de trafic la nuit, quasiment rien le jour et des âmes en peine que l’on voit errer, ici ou là.
+
- Très belle réalisation
- Particulièrement accessible
- Personnalisation des véhicules bien pensée
- Pas avare en contenu…
-
- … Noyé dans un système de progression lourdingue
- Conduite assistée au point d’être restrictive
- Environnements morts
- IA aux performances aléatoires