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The Suicide of Rachel Foster

Aventure narrative | Edité par Daedalic Entertainment | Développé par One-O-One

6/10
One : 09 septembre 2020
11.09.2020 à 16h23 par - Rédacteur

Test : The Suicide of Rachel Foster sur Xbox One

Comme la sensation de se balader avec un gros caillou dans la chaussure

En cette rentrée 2020-2021 qui voit nombre de grosses productions affluer sur Xbox One, d’autres plus confidentielles se remettent elles aussi en ordre de marche. Sorti sur PC en début d’année, The Suicide of Rachel Foster s’est ensuite confiné pour finalement arriver sur Xbox One en ce mois de septembre. Voilà un cas complexe que l’on s’apprête à tester car derrière ses traits de walking simulator dépaysant, le jeu développé par One-O-One est surtout l’évocation d’un sujet grave, difficile à exploiter sans trébucher.

Si vous êtes en train de lire ce test pour une raison autre que de la simple curiosité, vous avez probablement déjà entendu parler de ce jeu au nom déstabilisant : The Suicide of Rachel Foster. Vous avez certainement aussi trouvé et lu de pas mal d’articles, de réactions pointant du doigt particulièrement le jeu pour la façon dont il traite son sujet. Nous y viendrons forcément, mais commençons d’abord par poser les bases. The Suicide of Rachel Foster, édité par Daedalic Entertainement (éditeur entre autres du prochain jeu Le Seigneur des Anneaux, Gollum) et développé par les italiens de One-O-One nous raconte l’histoire de Nicole. Agée de 26 ans et vivant à Portland, la jeune femme est désormais la seule représentante de sa famille après que sa mère, Claire, a succombé à la maladie. La seule donc en capacité de s’occuper d’un cas très particulier, à savoir la vente de l’hôtel familial situé dans les forêts du Montana. La mère de Nicole l’en implore dans une ultime lettre : sa fille doit vendre l’établissement qu’elles ont quitté toutes les deux voilà dix ans, garder un peu d’argent pour ses études et remettre le reste de la somme à la famille d’une certaine Rachel Foster.

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La raison de cette requête et son acceptation par Nicole est à la fois évidente et sordide. Evidente car la vie de Nicole est depuis longtemps éloignée de cet hotel, elle n’y est plus allée depuis dix ans ; sordide parce que le motif de ce départ précipité tient en une double tragédie. Son père, Leonard, alors âgé de 46 ans entretint une relation intime avec Rachel Foster, camarade classe de Nicole et donc encore adolescente. Mais plus terrible encore, on retrouva Rachel morte et l’autopsie révéla qu’elle était enceinte de neuf semaines. C’est précisément le jour du décès de Rachel que Nicole quitta le Montana, pour ne jamais y revenir… Jusqu’à ce jour où débute le jeu. Prise au piège par la tempête de neige qui s’abat dans les montagnes, Nicole n’a d’autre choix que de passer plusieurs jours dans l’hôtel qu’elle est venue vérifier en vue de le vendre, comme le voulait sa mère. L’occasion, malgré elle, d’en découvrir les sombres secrets.

Comme tout walking simulator, The Suicide of Rachel Foster attend de vous que vous poussiez le stick vers l’avant pour explorer l’immense hotel, en interagissant à votre guise avec les nombreux objets du décor. Mais sachez que Nicole n’est pas vraiment seule dans cette aventure : à l’autre bout du fil, sur un téléphone marquant les prémices des communications mobiles (nous sommes dans les années 90), un certain Irving lui parle, donne son point de vue sur les événements et aussi quelques conseils de survie bien avisés. Normal, il travail pour la FEMA, l’agence fédérale des situations d’urgence. C’est donc principalement au travers des discussions -nombreuses- entre Nicole et Irving, à la manière d’un Firewatch (l’inspiration est évidente), que se dénoue le fil de l’intrigue de The Suicide of Rachel Foster. Pas d’ennemi, pas de risque de mort, pas même un jump scare : cette aventure est un pur walking simulator, nécessitant seulement de résoudre de petites énigmes pour progresser (trouver la pièce X pour dénichez l’objet Y qui va ouvrir Z).

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The Suicide of Rachel Foster a néanmoins, sur la forme, deux particularités. La première, plutôt plaisante, est celle d’être probablement le plus beau walking simulator auquel on peut jouer sur Xbox One. Si Dear Esther ou Firewatch se distinguent déjà par leurs ambiances visuelles respectives ; si d’autres dépeignent avec une certaine réussite un univers atypique (on pense à What Remains of Edith Finch), The Suicide of Rachel Foster est d’un point de vue technique, autant qu’artistique, un très beau jeu. Tout simplement. Chaque recoin de l’immense hotel, caractéristique des complexes au charme désuet de la haute montagne, est bien exploité. On peut approcher d’un objet, d’une affiche, d’un livre et constater en zoomant que les développeurs ont soigné leur représentation. Là où de nombreux titres proposent des bouillies de pixels dès lors que l’on pose le nez un peu près d’un petit objet, The Suicide of Rachel Foster fait preuve d’application. Ce sens du travail bien fait se ressent dans le jeu des acteurs (en anglais) très convaincant et d’une manière générale dans l’ambiance sonore soignée. Autre bon point : les textes sont disponibles en français.

Mais comme nous le disions un peu plus haut, The Suicide of Rachel Foster a une seconde particularité. Celle d’être un walking simulator qui nous empêche trop souvent d’avancer, tout en nous privant tout bonnement de choses que l’on aurait dû découvrir en progressant. Explications : le jeu se déroule en plusieurs jours, chaque période étant conclue par la réalisation d’une tâche spécifique, fruit le plus souvent des discussions entre Nicole et Irving. Le problème, c’est que leurs discussions sont assez longues et l’on se retrouve la moitié du temps à devoir attendre qu’ils aient fini de parler avant de pouvoir continuer vers le prochain objectif. Soit parce que l’on ne peut tout simplement pas bouger, soit parce que la prochaine destination ne peut être connue qu’à la fin de la discussion. Si les choses fonctionnent assez bien au début puisque l’on découvre les lieux et que l’on est sans cesse en mouvement, on comprend plus tard qu’il vaut mieux ne pas bouger en attendant la prochaine instruction, l’objectif n’étant finalement jamais très loin de là où l’on se trouve. The Suicide of Rachel Foster souffre ainsi d’un rythme haché par les pauses forcées, un comble pour un walking simulator.

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Plus embêtant encore est ce sentiment de privation d’une partie de l’intrigue. Le découpage en jours fait que l’on ne reprend pas nécessairement le jour-j là où s’était interrompu le j-1. La cassure n’est pas géographique seulement mais surtout temporelle : à un certain point de l’histoire, Nicole débute face à des documents, des indices sur l’affaire Rachel Foster qu’elle a pour la plupart « trouvé et étudié pendant la nuit ». De notre côté, nous avions arpenté l’hotel à la recherche d’une boîte de haricots… Et il y a plusieurs moments comme cela où l’on se sent dépossédé d’un pan important de l’histoire. L’ensemble tient bien sûr, grâce en particulier à l’ambiance visuelle et sonore très soignée de bout en bout. Mais aussi vrai que l’on s’attache vraiment à Nicole qui est un personnage bien écrit, on aurait aimé participer un peu plus activement à sa quête. Ce ne sont pas les quelques réponses à choix multiples proposées de temps en temps qui suffisent à impliquer le joueur à 100%.

Au sortir des 3 à 4 heures de jeu qu’il faut pour boucler l’aventure, le sentiment est assez partagé. Comme nous l’évoquions en préambule, The Suicide of Rachel Foster s’attaque à un sujet particulièrement sensible, potentiellement difficile à vivre même lorsque l’on parle d’un jeu vidéo. Prendre comme base la relation intime et sexuelle entre un adulte approchant le demi-siècle et une adolescente était un risque que le développeur n’est pas tout à fait parvenu à maitriser. Je n’irai pas jusqu’à dire, comme cela a été fait par certains joueurs lors de la sortie du jeu sur PC, que The Suicide of Rachel Foster d’une certaine manière « banalise la pédophilie ». Il est en revanche évident qu’il échoue dans sa manière de raconter cette relation, jusqu’à vraiment se prendre les pieds dans le tapis en toute fin de jeu.

Je ne spoilerai rien de façon directe (il faut de toute façon vraiment jouer tout le jeu pour mesurer cela), mais vous pouvez arrêter de lire à partir d’ici si vous préférez éviter tout risque. Je me contenterai de dire que s’il y a plusieurs moments dans le jeu qui créent un malaise certain tenant néanmoins de la fiction valable, une déclaration en particulier vient détruire, à l’évidence, ce qui aurait du être le garde-fou de ce type de récit : la notion qui veut que dans tous les cas, une jeune fille mineure n’est pas pleinement consentante envers ce type de relation, qu’il y a d’une manière ou d’une autre un abus de faiblesse (ou le recours à une certaine forme de domination, induite ici par la « stature » sociale du père de Nicole). L’histoire de Rachel dépeint d’ailleurs un véritable profil type de jeune fille perdue, pas franchement en capacité d’être consentante. Au moment où le garde-fou est brisé, même si l’on a conscience qu’il s’agit d’un œuvre de fiction exposant des personnalités toutes autant fictives, on se dit qu’il aurait été bon d’apporter aussi une dose de contradiction. Pour équilibrer les choses et faire en sorte que The Suicide of Rachel Foster soit un peu plus le récit d’une jeune vie brisée, et un peu moins la quête de rédemption d’un esprit torturé.

6/10
The Suicide of Rachel Foster est un jeu aux multiples contradictions. Particulièrement beau pour le genre, soignant chaque détail visuel comme sonore, le jeu de One-O-One tient cette force du début à la fin de l’aventure. Walking simulator pur et dur, il pèche cependant étrangement par un rythme très haché, par une structure qui trop souvent nous empêche d’avancer comme on le devrait dans ce type de jeu. Aussi vrai que son ambiance est réussie et son personnage principal attachant, The Suicide of Rachel Foster ne semble paradoxalement pas vouloir nous laisser vivre pleinement l’histoire en multipliant les avances rapides, comme pour nous exclure de certaines découvertes pourtant majeures. Et puis il y a la question épineuse du traitement de son sujet, souvent maladroite, gênante à un moment précis de l’histoire. Si tout le monde n’est pas forcément sensible de la même façon au scénario que The Suicide of Rachel Foster tente de dépeindre, il est difficile d’imaginer que les choses n’auraient pas pu être mieux amenées.

+

  • Réalisation très réussie
  • Un vrai souci du détail
  • Ambiance sonore parfaite
  • Sous-titres en français

-

    • Sujet grave traité (parfois très) maladroitement
    • Rythme haché par moments
    • Certains passages de l’histoire auraient mérité plus de consistance

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