Test : Far Cry 6 sur Xbox One
Yara ? Yara pas ?
Vous connaissez certainement la musique mais on va tout de même poser le cadre de ce qu’est Far Cry depuis une grosse dizaine d’années. FPS droit dans ses bottes pour ce qui est du combat, Far Cry s’appuie autour de cela sur une grande carte librement explorable à pied, en voiture ou dans les airs, pour y accomplir vos missions principales et pléthores d’objectifs secondaires (attaques de bases, découverte d’objets, chasse, pêche, nature et traditions). En haut de l’affiche trône un visage, celui du principal antagoniste, un fatigué local qu’il convient d’abattre au bout d’un chemin semé d’embuches. Nous allons bien sûr revenir sur tout cela un peu plus bas ; commençons par évoquer le monde de Far Cry 6.
Nous sommes dans l’archipel de Yara, une sorte de Cuba pas du tout « libre ». Là-bas règne la terreur orchestrée d’une main de fer par Antón Castillo, alias Giancarlo Esposito, alias « le mec des Pollos Hermanos dans Breaking Bad ». Son fond de commerce ? Le Viviro. Présentée comme un remède miracle contre le cancer, cette expérimentation chimique se fait aussi et surtout au détriment de la santé des habitants de Yara. Sous les fenêtres du salon doré de Castillo, dans la grande fourmilière caribéenne que représente Yara, il y a Dani Rojas. Que vous choisissiez Dani comme femme ou comme homme, elle ou il sera un opprimé parmi tant d’autres. Une âme en peine abritant une future machine à tuer. Ayant échoué à quitter Yara en direction des Etats-Unis, Dani profite -un peu malgré lui- de la main tendue que lui offre la providence pour mettre un pied dans la résistance. A l’issue de sa rencontre avec Clara, cheffe d’une résistance qui n’en porte que le nom, puis avec Juan, l’homme à tout faire indispensable pour toute révolution qui se respecte, Dani devient progressivement celui grâce à qui les problèmes se règlent. Le personnage derrière lequel les factions se rangent.
Comme toujours, nous ne dévoilerons rien de l’histoire du jeu testé ici. On peut toutefois vous dire, après une trentaine d’heures de jeu (prenez cela comme le temps nécessaire pour compléter l’aventure principale, sans y aller trop rapidement non plus), ce qui l’en ressort globalement. En jouant à Far Cry 6, vous ne serez pas étonné de retrouver dans les grandes lignes une structure très semblable à celle de ses ancêtres, et plus largement une progression très « ubisoftienne ». Comprenez par-là que vous enchainez les missions pour le compte de la résistance, laquelle espère rallier à elle les trois principales factions qui vivotent sur Yara. Chaque faction a son aire d’influence, laquelle est en opposition directe avec une ou deux têtes fortes du pouvoir Castillo et qu’il convient d’éliminer. En substance, vous allez au nord, au centre puis au sud rencontrer les figures locales et les aidez (ou plutôt vous faites le job tout seul comme un grand) à monter en puissance comme dirait Raymond, jusqu’à éliminer les lieutenants du grand méchant. Bref, prenez Far Cry, Ghost Recon Wildlands et Assassin’s Creed Valhalla, mettez tout ça dans un shaker, secouez et vous obtenez la structure de la progression, l’agencement du monde de Far Cry 6. On n’ira certes pas jusqu’à cracher sur une formule qui, soyons honnêtes, fonctionne dans la plupart des cas ; mais on a cependant un sérieux souci avec tout ce beau monde et la cohérence, l’intérêt de l’ensemble.
Antón Castillo n’est clairement pas le plus original des vilains. Il est même, à bien des égards, l’archétype ultime. Discours, éléments relatifs à son passé, comportement, gestuelle, relation avec son fils Diego : s’il existait un manuel du parfait tyran, Castillo y figurerait dans les annexes comme exemple type. Cela étant, le personnage n’est pas inintéressant et s’il ne surprend jamais, il assure son rôle avec sobriété. C’est déjà pas mal. En dépit d’un visage qui manque quelque peu d’expression, la bobine de Giancarlo Esposito fait son petit effet, indubitablement. Cette relative satisfaction s’applique d’une manière générale aux principaux ennemis de Dani, de même que les griefs à leur encontre : il y a ici un classicisme certain, mais ça fonctionne. On a même envie, pour une fois dans un test de Far Cry, de dire que l’on éprouve une certaine sympathie pour le héros. Si les débuts inquiètent un peu, on découvre au fil des heures un personnage plutôt attachant, pas aussi caricatural qu’il en a l’air ; peut-être simplement une personne dépassée par les événements qui l’entourent. Il a également pour lui le fait d’être quelqu’un que l’armée a formé au maniement des armes ; si cela ne saurait justifier son statut à venir d’armée d’un seul homme, on maintient grâce à cela un semblant de cohérence.
Au cœur d’un scénario qui jamais ne laisse filer la moindre surprise, le côté obscur fait montre d’une certaine régularité, à défaut d’une démonstration de force. L’ennui pour Far Cry 6, c’est que cette impression n’est au contraire pas du tout valable pour le camp du bien. Au service de Libertad (la résistance) et plus souvent des trois factions principales de Yara, on multiplie les rencontres avec la galerie d’alliés probablement la plus ratée dans l’histoire de la franchise. On a eu beau essayer d’éprouver de la sympathie pour ces braves gens, ça ne marche pas. On a au mieux à faire à un duo caricatural père/fille, avec un paternel bourru défenseur d’une fille « dure de caractère mais sympa dans le fond » ; ou encore quelques vétérans d’une première insurrection, mélangeant l’Agence tous Risques et des soixante-huitards. Pas désagréables comme personnages mais là encore, on peine à avoir envie de les entendre parler, même si eux comme tous les autres bénéficient de bons doublages en français (les quelques mots prononcés en espagnol font en revanche saigner les oreilles).
On peut aussi se retrouver en contact avec des révolutionnaires complètement hors-contexte, ou trop peu subtils pour porter correctement certains messages (de tolérance par exemple) que les développeurs ont voulu faire passer. Aux mieux ils sont ratés, au pire ils sont tout bonnement ridicules. Tout cela aurait pu marcher en étant soit un peu plus carré et sérieux, soit au contraire en embrassant la folie et en faisant de Far Cry 6 un jeu réellement barré. Le fait est que le jeu d’Ubisoft est assis en plein milieu des deux chaises. Il en ressort des dialogues sans réelle portée, des poncifs usés jusqu’à la corde, voire des moments gênants. Heureusement pour lui, Far Cry 6 a parfois (et en particulier dans ses derniers instants de campagne principale) un sursaut d’orgueil qui permet à la révolution de ne pas être définitivement ignorée par le joueur. Il est forcément délicat de tenir un scénario dans un jeu dont la seule campagne prend plus de vingt heures, mais on aurait franchement aimé voir Ubisoft donner une direction plus franche à Far Cry 6.
Tout cela étant dit, mettons de côté histoire et personnages pour évoquer le reste. Parce que oui, Far Cry 6 est un jeu que l’on peut apprécier pour autre chose que son histoire et ses personnages. Le seul fait de pouvoir en profiter en quasi-intégralité à deux joueurs en ligne en fait un jeu qui, par sa densité notamment (les 30 heures évoquées précédemment sont le minimum syndical), a des arguments à faire valoir. A commencer par l’élément aussi évident que central : le combat. Face aux forces militaires de Castillo comme aux nombreux animaux sauvages qui trainent dans les vertes contrées de Yara, Dani a dans ses grandes poches de quoi calmer les ardeurs de tout ce beau monde. Disons les choses simplement : les gunfights sont réussis. Diversité des armes, sensations de tir, recul, retranscription sonore, personnalisation matérielle et visuelle… Far Cry 6 est tout à fait au point.
En marge de toute la panoplie traditionnelle allant du pistolet au fusil de chasse, en passant par l’arc, le lance-roquette, le fusil d’assaut ou la mitraillette, Dani porte sur son dos le « Supremo ». Une fois la jauge dédiée remplie, le héros peut lancer une attaque dévastatrice, très utile contre les groupes d’ennemis compacts, voire les véhicules. On débute avec un lanceur de missiles qui pourra ensuite être modifié pour apporter une capacité plus offensive, défensive, piégeuse ou discrète. En récupérant de l’uranium dans divers lieux répartis sur la carte, on peut déverrouiller de nouveaux types de Supremo, mais également acquérir des « armes bricolées ». Lance-flammes, fusil électrique, mélange entre arbalète et harpon, bon gros révolver capable de dissoudre une baleine : la diversité de l’armement est clairement au rendez-vous dans Far Cry 6. Toutes ces armes peuvent être modifiées pour plus ou moins d’efficacité face aux cibles blindées, pour empoisonner ou encore favoriser la précision au détriment de la puissance. Bref, de côté-ci, tout y est et fonctionne bien.
A l’arsenal viennent s’ajouter divers véhicules armés ou non et que l’on prend toujours un grand plaisir à expérimenter. C’est d’autant plus vrai dans Far Cry 6 où la conduite est particulièrement soignée, quel que soit le type d’engin. On trouve facilement une voiture, un quad, une moto voire un cheval pour plus de liberté ; depuis les nombreuses bases alliées, on dispose rapidement de la possibilité d’appeler un avion, un hélicoptère, un bateau, un char… pour ici encore de bonnes sensations de pilotage. Saupoudrez toute cette variété d’un parachute et d’une wingsuit rapidement déblocable et vous avez ici un Far Cry qui répond présent là où on l’attendait en partie.
Le jeu d’Ubisoft passe toutefois à quelques pas du rang S côté gameplay dès lors que l’on se penche sur la question de la progression du personnage. Il y a bien des points d’expérience et une barre de progression générale, elle influence l’accès aux armes et équipements d’un côté tandis qu’elle fait augmenter la pression ennemie de l’autre. Petit aparté : Far Cry 6 propose divers territoires affichant un niveau de difficulté général mais il faut savoir que celui-ci évolue en fonction de votre propre avancée dans le jeu. Qu’importe donc l’ordre dans lequel vous faites les missions de factions, la difficulté augmente en même temps que votre niveau. Les effets de la montée de niveau en question ne sont cependant pas conditionnés par votre expérience à proprement parler, mais plutôt liés à l’équipement que celle-ci vous permet d’obtenir. Il n’y a pas de capacités à débloquer pour le personnage ou de points à distribuer, mais des pièces d’équipement (tête, corps, jambes, pieds, poignet) qui octroient des bonus particuliers. La volonté de changement est louable, d’une certaine manière, mais dans les faits c’est plutôt l’agacement qui prévaut. On a toujours l’impression de manquer de quelque chose, d’être légèrement sous-dimensionné face à l’ennemi et on a vite fait de mettre de côté l’idée de changer d’équipement tous les quatre matins. C’est lourd.
Bonne ou moins convaincante, toute cette richesse côté équipement n’a d’égal que la générosité de Far Cry 6 dans son ensemble. Il y a -vraiment- des tonnes de choses proposées. Ce n’est pas toujours pour le meilleur, en particulier lorsque l’on songe aux missions principales qui sont certes très nombreuses, mais peinent à surprendre et à se renouveler. La mise en scène n’est pas le point fort de ce type de jeu ouvert, ça se ressent jusque dans l’ultime bataille, un peu « cheap » au regard de l’enjeu et de l’ambiance révolutionnaire supposée. A trop envoyer Dani tout seul au casse-pipe, on perd rapidement ce que le contexte politique et social aurait pu emmener. On en revient toujours à cet univers pas assez sérieux mais pas assez fou qui grève l’expérience sur de nombreux compartiments.
On a néanmoins largement de quoi s’occuper en mettant de côté l’histoire, et c’est dans ce sens que l’on vous conseille si possible de profiter régulièrement du jeu en coopération. Captures de bases, de points de contrôle, recherches de trésors (légèrement mais intelligemment contextualisées pour le coup), chasse et pèche d’espèces traditionnelles ou d’animaux uniques, courses… Far Cry 6 nous met constamment sous le nez quelque chose à tenter, avec la liberté de le faire de façon brutale ou au contraire discrète. Ca n’a pas changé et c’est dans l’ensemble toujours aussi efficace. Pour qui aime se prendre au jeu de la conquête ce sont des dizaines d’heures manette en main qui se profilent, sachant par ailleurs que la fin de la campagne principale ouvre à de nouveau objectifs de ce type.
La densité de Far Cry 6 en impose, d’autant qu’il ne se contente pas des éléments traditionnels de la saga évoqués à l’instant. Des missions secondaires scénarisées (histoires de Yara) vous permettent de faire des nouvelles rencontres et dans certains cas, de recruter des « amigos ». Vous avez forcément vu passer le museau de Chorizo dans une bande-annonce du jeu, ce petit chien tout mignon ; eh bien sachez que vous pouvez aussi avoir à vos côtés un jaguar, un coq de combat ou carrément un crocodile. Ces animaux peuvent vous suivre partout et effectuer certaines actions, en fonction de leurs capacités. Quand le croco va tout bonnement raccourcir un ennemi, Chorizo peut détourner l’attention. Chaque « amigo » débloque de nouvelles compétences au fil du temps et des actions spécifiques réalisées. C’est tout bête, mais on apprécie la compagnie des ces animaux. On est également invité dans Far Cry 6 à faire combattre des coqs comme dans un vrai jeu de baston (prend garde Tekken !), à réaliser des missions spécifiques à la coopération, ou à braver le chronomètre pour récupérer des marchandises larguées par l’ennemi avant que ses compères ne mettent la main dessus.
Mais ce n’est pas tout ! En réalisant les missions secondaires et en secourant des prisonniers un peu partout sur la carte, on fait grossir les rangs d’une petite armée que l’on envoie ensuite en mission via un tableau de gestion, disponible dans les nombreux campements de la résistance. Cette partie se gère un peu comme une version (très) allégée d’un « livre dont vous êtes le héros ». On sélectionne un chef de groupe en faisant coïncider si possible sa spécialité avec celle que recommande la mission ; on choisit ensuite les différentes étapes à suivre pour compléter la virée en territoire hostile. Chaque étape a un coût (en ressources ou en soldats) et une probabilité de réussite. Au bout du chemin la réussite de la mission vous octroie divers bonus : argent, équipement ou bien ressources.
Parlons d’ailleurs des ressources, ces éléments qui servent également à améliorer les campements pour plus de possibilités et d’efficacité du côté des marchands d’armes et d’équipement, ou des informateurs en tous genre (pour la chasse, la pèche ou la recherche d’objets). On peut aussi construire une « cantina » qui propose, en fonction du gibier dont vous disposez, des plats donnant des bonus à durée limitée. Tout cela requiert donc des ressources (métal, essence, pièces…) que l’on trouve un peu partout sur la carte. «Un peu trop partout» à vrai dire. Il y a tellement de chose à ramasser (ou à lire) dans Far Cry 6 que l’on frôle l’indigestion. On est sans cesse stimulé par un objet clignotant qui ne se ramasse pas automatiquement, en dépit du fait que notre inventaire ne pose aucune limite. On passe donc un temps fou à appuyer longuement sur X pour récolter des ressources, encore et encore.
La profusion de choses à faire, à lire ou à bêtement ramasser est d’autant plus forte dans un jeu comme Far Cry 6 qui dispose d’une très grande carte. La plus grande dans l’histoire du jeu. D’inspiration caribéenne donc, Yara offre un savoureux mélange de jungle, plages, montagnes, petits hameaux, zones un peu plus arides et autres champs cultivés, au nord desquels trônent fièrement Esperanza, ville autrement plus développée que le reste. La cohérence de l’ensemble est indiscutable, on sent qu’une attention particulière a été apportée à cela. On prend un plaisir non dissimulé à découvrir les différentes zones de Yara, motivé par la réalisation solide du jeu d’Ubisoft. Testé sur Xbox Series X, Far Cry 6 ne bronche pas et si l’on remarque un peu de clipping par moments et une certaine irrégularité dans le soin apporté aux textures entre les intérieurs et les extérieurs (carton jaune pour le premier), l’ensemble est plutôt satisfaisant, considérant la grandeur du jeu. La jungle est belle, l’eau s’en sort plutôt bien ; on apprécie surtout les moments où le soleil succède à la pluie. Cela donne un vrai cachet à Far Cry 6, un ressenti enivrant que l’on perd quelque peu lorsque la nuit prend place dans Yara.
De jour comme de nuit malgré tout, accompagné en voiture par une belle liste de chansons couvrant le répertoire latino d’hier à aujourd’hui, on apprécie le côté bucolique de certaines virées. Dommage qu’elles soient contrariées (les balades comme les missions) par les chèvres. Pas celles qui manquent d’ailleurs un peu à l’appel côté faune, mais celles contre qui on dirige nos balles toutes les deux minutes. S’ils sont résistants et globalement variés, les ennemis souffrent dans Far Cry 6 d’un évident déficit d’intelligence. Il n’est pas rare qu’ils vous passent devant sans vous remarquer (en pleine alerte !), tirent n’importe où ou se cachent en laissant bien dépasser leur tête.
Pas de quoi gâcher l’expérience mais à choisir on aurait préféré des opposants un peu moins résistants et un peu plus malins. A leur décharge, le constat est le même pour les alliés, proprement inutiles le peu de fois où ils sont là. No los queremos, no los necesitamos, comme dirait Fidel.
+
- Contenu gargantuesque
- Gunfights réussis
- Brutal ou discret, c’est vous qui voyez
- Conduite des véhicules soignée
- Grande carte aux environnements variés
- Bons doublages, ambiance sonore maitrisée
- Réalisation convaincante, à défaut d’être brillante
- Quelques personnages sortent du lot…
-
- … Mais la plupart est au mieux oubliable
- Scénario sans panache, multipliant les lieux communs
- Ni vraiment sérieux, ni vraiment fou : mal placé
- Missions principales pour la plupart très banales
- Système de progression par l’équipement mal fichu
- Intelligence artificielle au rabais
- La profusion de ressources à ramasser donne la gerbe
- Un certain manque de rythme qui finit par ennuyer